M. Thiaw s’est entretenu avec ONU Info à l’approche de la Journée mondiale de lutte contre la désertification et la sécheresse, célébrée chaque année le 17 juin.
Ibrahim Thiaw : La désertification se produit autant au niveau local que mondial. Si nous ne résolvons pas ce problème au niveau local, nous ne pourrons jamais réellement le contrôler au niveau mondial. Des politiques et des décisions mondiales sont nécessaires.
Les impacts sont énormes en termes de sécurité alimentaire et de souveraineté alimentaire.
Cela entraîne également des migrations forcées. Si les gens ne peuvent plus produire de nourriture sur leurs terres, ils migreront. Comme nous l’avons vu par exemple au Sahel ou en Haïti, les conséquences peuvent être graves pour la sécurité mondiale. Lorsque les gens se disputent l’accès à la terre et à l’eau, cela entraîne davantage de conflits. Nous constatons de plus en plus cela, et cela a des conséquences sur l’homogénéité des communautés et sur les économies nationales.
On estime que jusqu’à 50 pour cent du PIB mondial pourrait perdre d’ici 2050 en raison des défis liés à l’agriculture et à la production alimentaire, à moins que nous ne résolvions le problème de la perte de terres et de la désertification.
ONU Info : Quelle est la tendance actuelle en termes de perte de terres ?
Ibrahim Thiaw : La perte de terres se produit partout dans le monde et la dégradation des terres affecte à la fois les terres arides et moins arides.
Mais en ce qui concerne les zones arides et la désertification, on estime que 45 pour cent de la surface terrestre est touchée par la désertification. Il est peut-être plus frappant de dire que 3,2 milliards de personnes, soit un tiers de la population mondiale, sont concernées.
Chaque année, cent millions d’hectares de terres sont dégradés, soit une superficie équivalente à celle de l’Égypte. Nous devons mettre fin à la dégradation des terres, mais nous devons également restaurer 1,5 milliard d’hectares de terres.
ONU Info : Comment allez-vous faire cela ?
Ibrahim Thiaw : En améliorant les techniques agricoles, nous réduisons l’impact que nous avons sur les terres en termes d’extraction de minéraux et d’autres industries extractives. Il est également important de réduire la pression exercée sur les activités humaines dans certaines régions du monde afin de diversifier l’économie et de créer davantage d’opportunités de création de revenus.
La restauration des terres dégradées n’est pas une activité coûteuse à entreprendre, mais elle est absolument essentielle pour assurer une plus grande sécurité alimentaire et réduire les conflits. Chaque dollar investi dans la restauration des terres peut générer jusqu’à 30 dollars de bénéfices économiques. L’investissement dans les activités de restauration est donc très rentable du point de vue économique.
Cela ne relève pas seulement de la responsabilité des communautés locales, mais aussi des gouvernements et, surtout, du secteur privé, car le principal moteur de l’utilisation des terres dans le monde est la grande agriculture.
ONU Info : Parlons-nous principalement des petits pays en développement ?
Ibrahim Thiaw : Non. C’est un phénomène mondial qui touche tous les pays, y compris les États-Unis, l’Inde, la Chine, l’Inde ou le Pakistan.
Mais l’impact est bien plus grave dans les petits pays et les petites économies qui ne disposent pas de réserves ni de systèmes d’assurance pour protéger leur population. Et le niveau de vulnérabilité est bien plus élevé dans les communautés dont les revenus reposent uniquement sur les revenus qu’elles peuvent générer grâce à la terre.
ONU Info La désertification n’existe pas de manière isolée. Quel est le rapport avec le changement climatique ?
Ibrahim Thiaw : La désertification est un amplificateur du changement climatique. Le changement climatique est un amplificateur de la désertification car, bien entendu, les événements extrêmes ont également de graves conséquences sur les terres, sur les communautés et sur les économies locales.
Donc, fondamentalement, ils interagissent mutuellement et il est donc important d’avoir une vision globale plus complète. Il est faux de penser qu’on peut protéger la biodiversité ou les territoires sans s’attaquer à la question climatique et vice versa.
ONU Info : Les interventions à petite échelle au niveau local sont très importantes, mais il semble qu’il faudra un énorme effort de la part des gouvernements et du secteur privé pour faire une réelle différence ?
Ibrahim Thiaw : Oui, il ne faut pas négliger tous les efforts qui sont faits jour après jour par les communautés locales. Ils ont besoin de beaucoup plus de soutien de la part des gouvernements. Ils ont également besoin de moins de subventions au secteur agricole, qui détruit l’environnement. L’argent public qui, dans certains cas, détruit l’environnement devrait être utilisé pour réellement reconstruire les économies.
Il ne s’agit donc pas nécessairement d’injecter plus d’argent, mais de mieux dépenser l’argent dont nous disposons.
ONU Info : J’imagine que certains diraient que c’est une vision assez optimiste selon laquelle les gouvernements vont changer la façon dont ils dépensent leur argent ?
Ibrahim Thiaw : Eh bien non, cela a du sens politiquement. En tant que contribuable, j’aimerais savoir où va mon argent. Si cet argent est investi dans des activités qui détruisent mon environnement et créent une éco-anxiété pour mes enfants, détruisant les moyens de subsistance de mes communautés, alors en tant qu’électeur, j’insisterais pour que mon gouvernement investisse mon argent dans d’autres domaines qui généreraient davantage de revenus. un revenu pour moi et créer plus de durabilité.
ONU Info : Vous venez de Mauritanie au Sahel. Avez-vous vu cette dégradation des terres se produire en temps réel ?
Ibrahim Thiaw : La situation est très triste. J’ai été témoin de la dégradation des terres au cours de ma vie. Mais en même temps, j’ai aussi beaucoup d’espoir car je vois des changements positifs arriver. Je vois que la jeune génération est consciente de la nécessité d’inverser la tendance.
Je vois de plus en plus d’agriculteurs et d’éleveurs essayer de faire leur part. Je constate davantage d’interventions de la communauté internationale, notamment du monde humanitaire, qui investissent dans la restauration des terres. Je vois donc un mouvement qui me donne l’espoir que si nous unissons nos efforts et si nous travaillons de manière collaborative, il sera possible d’inverser la tendance.
Et mon meilleur espoir est l’énergie, qui était le chaînon manquant pour le développement et pour les petites et moyennes entreprises. L’énergie est désormais accessible dans les endroits reculés grâce à notre capacité à exploiter l’énergie solaire et éolienne.
Et la possibilité de combiner énergie et agriculture est très positive, car on peut récupérer de l’eau, stocker de la nourriture, réduire les pertes alimentaires. Vous pouvez transformer ces aliments pour créer des chaînes au niveau local.