Après moult rebondissements, la directive européenne sur les travailleurs des plateformes a été adoptée le 11 mars dernier en trilogue. Restait au Parlement à entériner cette décision, c’est chose faite aujourd’hui. Retour sur cinq années de lutte avec sa négociatrice pour la gauche, l’eurodéputée LFI Leïla Chaibi.
En Europe, 28 millions de travailleurs indépendants œuvrent via des plateformes. Ils ont signé pour être indépendants, mais sont souvent subordonnés : ils ne décident pas de leurs tarifs, ni de leurs horaires, ne peuvent pas s’organiser. La contrepartie de la subordination, c’est la protection sociale.
Que va changer cette directive et qui est concerné ?
Leïla Chaïbi
eurodéputée LFI
Cette directive met en place une présomption de salariat. Aujourd’hui, quand ils contestent leur statut, les travailleurs doivent prouver qu’ils sont subordonnés à un employeur. Demain ce sera à la plateforme employeuse de prouver qu’ils sont indépendants. Le texte précise que les États membres doivent faciliter les démarches de requalification.
La directive comporte aussi tout un volet sur le management algorithmique. Les plateformes devront être transparentes sur les règles qui régissent leurs algorithmes : comment sont fixés les prix, attribuées les missions… Elles ne pourront plus non plus déconnecter un travailleur sans intervention humaine ni justification.
Des détracteurs disent que vous voulez salarier tous les indépendants…
Rappelons qu’une relation de travail dépend de faits objectifs. Ce n’est pas : je veux ou je ne veux pas. Ensuite, la présomption de salariat ne veut pas dire que tout le monde sera requalifié. Cela concerne ceux qui sont faussement indépendants. Si une plateforme ne fait que de la mise en relation, il n’y a pas de souci. Par exemple, si un médecin décide de fermer son cabinet le mercredi, Doctolib ne va pas le sanctionner en le déconnectant.
« La contrepartie de la subordination, c’est la protection sociale. »
L’adoption de la directive signifie-t-elle que la bataille est gagnée ?
À l’inverse d’un règlement, une directive laisse un peu de place à l’interprétation et les États membres ont deux ans pour la retranscrire dans leur droit national. En France, il faudra rester vigilant jusqu’au bout, maintenir le rapport de force. Parce que voilà cinq ans que les macronistes portent la voix d’Uber. Au début, ils voulaient une directive pour imposer un troisième statut afin de protéger les plateformes contre les risques de requalification. Quand la Commission est allée dans le sens des travailleurs, la France a fait obstacle et voté contre la directive jusqu’au bout. Ce mercredi, à Strasbourg, je fête l’adoption de cette directive avec des travailleurs des plateformes venus de toute l’Europe.
N’est-ce pas le monde à l’envers qu’une avancée sociale vienne de l’Europe, contre la voix de la France ?
C’était en tout cas totalement imprévu. L’UE n’est traditionnellement pas du tout favorable aux avancées sociales, c’est le dogme du marché avant tout. L’irruption des travailleurs des plateformes à Bruxelles, venus faire pression sur le processus législatif, a changé les choses. Mais même si cela a pris du temps et demandé beaucoup de travail, il faut se rendre à l’évidence : il est plus facile d’arracher un progrès social au niveau européen que sous la Ve République de Macron.