Affirmer lutter contre l’extrême droite et avoir ses mots plein la bouche. Chez Emmanuel Macron, ce n’est pas une maladresse, mais une stratégie de triangulation maintes fois éprouvée.
Une tactique à nouveau mise en œuvre, ce mardi, lors d’un déplacement sur l’île de Sein (Finistère) pour les commémorations de l’appel du 18 juin 1940. Dos au mur depuis qu’il a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale, le chef de l’État s’en est pris à l’union de la gauche, dont il craint la dynamique devant l’inéluctable débâcle de son camp.
Devant une poignée de badauds bretons et surtout une caméra de BFMTV, il a fustigé le Nouveau Front populaire (NFP), qualifié d’« extrême gauche », et son programme, jugé « immigrationniste ». Du Marine Le Pen dans le texte.
L’art de jouer avec la flamme
Mais le président de la République ne s’est pas arrêté en si mauvais chemin dans sa reprise du vocable d’extrême droite pour commenter le projet de la gauche, dans lequel il dit trouver « des choses ubuesques comme aller changer de sexe en mairie ».
Et ce, alors que le document du NFP propose d’« autoriser le changement d’état civil libre et gratuit devant un officier d’état civil ». Changement de genre et non de sexe, donc.
Pour parfaire le triste tableau, l’hôte de l’Élysée a ajouté qu’« à l’extrême gauche, il n’y a plus de laïcité ». Une façon très sarkozyste d’incarner le front républicain – qu’il a lui-même torpillé – en allant sur le terrain de l’ennemi qu’on est censé combattre.
Devant sa défaite annoncée, Emmanuel Macron ne renonce donc à aucune outrance, y compris transphobe, pour tenter de combler son retard. De quoi provoquer, à gauche, de nombreuses réactions outrées.
Indignation de la gauche et des associations
« Diviser, cliver, stigmatiser, susciter la haine. Ce président, élu pour faire barrage au RN, en devient le minable perroquet », a écrit, sur X, Ian Brossat, porte-parole du PCF.
« Cette manière de flatter les réactionnaires est insupportable », a réagi Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes. Et son homologue socialiste, Olivier Faure, d’abonder : « Un barrage… toutes vannes ouvertes. Les mots finissent par manquer devant tant d’inconséquence et de cynisme. ».
La saillie du président sur les personnes trans, cibles favorites de l’extrême droite, a particulièrement fait parler. « Emmanuel Macron convoque la transphobie pour attaquer les programmes de ses opposant·es politiques. La stratégie est donc claire : instrumentaliser les minorités dans la course au pouvoir », a dénoncé Julia Torlet, présidente de SOS Homophobie.
L’insoumis Jean-Luc Mélenchon estime que « le président ignore la dose de souffrances que cela implique pour les personnes concernées » et rappelle que « cette possibilité existe déjà dans la loi ».
Macron corrigé par son ancien ministre Clément Beaune
« Il n’est pas nécessaire d’avoir suivi un traitement médical ou d’avoir été opéré. Vous devez démontrer que le sexe indiqué sur votre état civil ne correspond pas à celui de votre vie sociale (identité de genre) », précise ainsi le site service-public.fr où sont consignées les démarches qui doivent, pour l’heure, s’effectuer « auprès du tribunal ».
Emmanuel Macron a même été rappelé à l’ordre par son ancien ministre Clément Beaune, par ailleurs candidat à sa réélection comme député sous l’étiquette Renaissance : « Pour les personnes trans, pour les personnes LGBT, pour toutes et tous, nous devons rejeter toute stigmatisation dans le discours politique et faire avancer les droits. »
Les dangereux propos du président de la République, lequel proposait jadis de simplifier les procédures pour le changement de genre, disent aussi la panique qui est la sienne devant la déroute de son camp et la dynamique du NFP.
Une opération séduction qui vire au naufrage
Son électorat âgé, en général plus conservateur que le reste de la population, fuit peu à peu vers le RN. Ce qui avait déjà conduit Emmanuel Macron à s’aventurer dans le pillage sémantique de l’extrême droite en reprenant notamment le terme de « décivilisation ».
Questionné sur cette fâcheuse tendance, en février, par les journalistes de l’Humanité, qualifiés de « drôles de censeurs », le chef de l’État répondait qu’il « ne faut pas laisser (au RN) la capacité à nommer le réel ».
Du réel il ne s’embarrasse pourtant pas, dès lors qu’il s’agit de diaboliser la gauche qui aujourd’hui le menace. Avec ce genre d’assertion attrape-réacs, Emmanuel Macron prend le pari hasardeux que le confusionnisme peut lui être favorable, quitte à brouiller parfois les frontières avec l’extrême droite. Au risque de ne pas seulement être celui qui reprend les mots du RN, mais aussi celui qui l’aura porté au pouvoir.
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