Augmentation de 8,6 % des tarifs réglementés de l’électricité en février. Augmentation de près de 12 % des tarifs du gaz prévue en juillet. Légère baisse des prix à la pompe après la flambée d’avril… Comme le pouvoir d’achat est la première des préoccupations des électeurs pour ces législatives anticipées, l’énergie est un élément central des programmes des trois blocs en lice. Avec, pour deux d’entre eux, des promesses de baisses de prix qui n’engagent que ceux qui y croient.
La stratégie en deux temps du Nouveau Front populaire
La thématique de l’énergie est probablement celle qui a généré au sein de la gauche le plus de débats. Pourtant, en seulement quatre jours, le Nouveau Front populaire (NFP) a trouvé un terrain d’entente, étoffé par le chiffrage du programme, vendredi 21 juin, qui dévoile les modes d’action contre la vie chère.
Première mesure d’urgence : le blocage immédiat des prix de l’énergie et des carburants. Un décret du Code du commerce le permet. Il visa à lutter « contre des hausses ou des baisses excessives de prix », pour une durée de six mois au maximum, dans « une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé ».
Deuxième temps : une « grande loi pour le pouvoir d’achat », dans laquelle prendraient place l’abolition de « la taxe Macron de taxe de 10 % sur les factures d’énergie » (ce qui reviendrait à remettre en place le bouclier tarifaire), l’annulation de la « hausse programmée du prix du gaz au 1er juillet », ainsi que « la gratuité des premiers kilowattheures et l’interdiction des coupures d’électricité, de chaleur et de gaz (hors trêve hivernale) ». Tout cela a un coût que le NFP se fait fort de combler par une grande réforme fiscale apportant plus de 100 milliards d’euros de recettes nouvelles.
Mais le soutien du pouvoir d’achat se mesure aussi en économies : le NFP compte renforcer des aides en faveur de tous les ménages pour l’isolation complète des logements. Une prise en charge à 100 % est même prévue pour les ménages modestes.
Maintenir des prix bas passe par une production abondante. Concernant le mix énergétique, « on ne touche pas au programme actuel ». Devant les représentants des organisations patronales, Éric Coquerel a affirmé, jeudi 20 juin, que le Nouveau Front populaire ne remettra pas en cause la politique nucléaire française en cas de victoire aux législatives, et ce, au moins jusqu’à 2027. Quant aux énergies renouvelables, le NFP soutient que « les dépenses nouvelles sont principalement des investissements » visant à faire de la France le leader européen des énergies marines avec le développement de l’éolien en mer, tout en refusant la privatisation des barrages hydroélectriques.
Les promesses intenables du Rassemblement national
Côté Rassemblement national, le volet énergie est affiché comme une « priorité ». En cas de majorité, Jordan Bardella annonce une réduction immédiate de 30 % des factures en activant deux leviers qui pourraient rester coincés.
Jeudi, lors de son audition par le Medef, la CPME et l’U2P, le président du RN s’est engagé à négocier avec la Commission européenne pour obtenir une dérogation française permettant de plafonner les prix en cas d’explosion des cours sur les marchés européens, à l’image de ce qu’avaient obtenu l’Espagne et le Portugal au printemps 2022. Vu de Bruxelles, la proposition a peu de chance d’aboutir.
Car la France est loin des conditions qui ont conduit à cette « exception ibérique ». Côté électricité, la péninsule est un cul-de-sac énergétique du fait du peu d’échanges avec son seul pays limitrophe, la France. Son influence sur les prix européens est donc minime.
Quant au gaz, les importations de gaz naturel liquéfié (GNL) via ses six terminaux méthaniers rendent la région quasiment déconnectée des soubresauts du marché continental. La France, elle, est au cœur des marchés de l’énergie, en tant que première exportatrice d’électricité avec son parc nucléaire, et dépendante des importations de GNL.
Pour désenliser le pouvoir d’achat des Français, le bloc d’extrême droite prévoit également de réduire de 20 % à 5,5 % la TVA sur les énergies et le carburant. La mesure serait inscrite dans un projet de loi de finances rectificatif (PLFR). Déjà portée par Marine Le Pen lors de sa campagne présidentielle, cette mesure représenterait un manque à gagner de 17 milliards d’euros par an, selon les chiffrages de Bercy.
Le RN propose, pour le financer, de mettre fin à certaines niches fiscales, de baisser la contribution française à l’Union européenne de 2 milliards d’euros et de lancer un audit des comptes publics, laissant entrevoir d’autres coups de rabot jusqu’ici non identifiés.
Une mesure contre-productive, pour le directeur du Centre de recherche en économie et droit de l’énergie (Creden), Jacques Percebois : « Elle bénéficierait davantage, aux vendeurs qui en profiteraient pour augmenter leurs marges. » Par ailleurs, la perspective d’une application immédiate semble illusoire.
“Si le Rassemblement national arrive au pouvoir, nous devrions plutôt nous attendre à des pénuries, une extrême volatilité des prix et des effets néfastes sur l’environnement.“
Jacques Percebois, économiste de l’énergie
Une directive européenne impose une harmonisation des taux de TVA sur les carburants et interdit les taux réduits en dessous de 15 %. La France pourrait, dans ce cas, choisir de négocier avec Bruxelles pour obtenir une autre dérogation ou de se mettre dans l’illégalité, s’exposant ainsi à des sanctions.
Reste à savoir si la production d’électricité sera suffisante pour conserver des prix bas. Là encore, le RN ne dévie pas de sa ligne traditionnelle. D’une part, l’arrêt des énergies solaires et éoliennes qui « défigurent les paysages », mais représentent près de 15 % de la production de courant.
Un moratoire sur l’éolien et le solaire serait pris, conformément à la feuille de route de Marine Le Pen en 2022, et une partie du parc éolien existant serait démantelée. D’autre part, miser un peu sur l’hydroélectricité et énormément sur le nucléaire, avec la construction de 20 EPR, dont une dizaine à l’horizon 2031 et dix autres à partir de 2036, ainsi que de petits réacteurs SMR.
L’économiste de l’énergie Jacques Percebois persiste : « Si on bloque les énergies renouvelables intermittentes et que les structures nucléaires ne sont pas prêtes à temps, nous serons contraints, d’ici là, d’importer aux heures de pointe et de produire du gaz dont on ne peut maîtriser le prix. En pratique, si le Rassemblement national arrive au pouvoir, nous devrions plutôt nous attendre à des pénuries, une extrême volatilité des prix et des effets néfastes sur l’environnement. »
Renaissance mise sur le tout-marché
Le camp présidentiel, représentant autoproclamé du sérieux budgétaire, joue lui aussi sur la corde du pouvoir d’achat en promettant une baisse de 10 à 15 % des factures d’électricité dès le 1er février 2025, soit 200 euros environ par ménage, selon le gouvernement. « Grâce à la réforme du marché européen de l’électricité que nous avons obtenue », les tarifs vont baisser, se targuait Gabriel Attal, samedi 15 juin, au journal de France 2.
Ce texte, adopté par l’Union européenne le 11 avril, vise à encourager deux formes de contrat à long terme. D’une part, les Power Purchase Agreements (PPA), des accords de vente directe entre un client d’électricité, souvent les grosses entreprises gourmandes en énergie, et un producteur, d’une durée de cinq à vingt ans.
D’autre part, les « contrats pour la différence » (CFD), prévoyant que les pertes des producteurs et investisseurs soient indemnisées par l’État, ce dernier pouvant à l’inverse récupérer d’éventuelles recettes excédentaires.
Cette réforme protège donc davantage les grandes entreprises que les usagers. « Loin de permettre aux consommateurs de bénéficier de tarifs justes et stables, notamment concernant le tarif réglementé, ce projet prolonge et amplifie une exposition artificielle et inacceptable des factures des consommateurs aux prix sur les marchés internationaux », s’alarmaient les associations de consommateurs UFC-Que choisir et la CLCV dans un communiqué début mars.
Si le premier ministre n’a nul besoin de brandir un nouveau bouclier tarifaire pour provoquer cette baisse, c’est tout simplement parce qu’il espère que les marchés s’orienteront à la baisse. « La promesse que Gabriel Attal présente aux Français comme une mesure de campagne n’est en réalité que la conséquence d’une logique de marché », souligne l’économiste Jacques Percebois.