C’est un cri de désespoir et de colère qu’Adidja Fatihoussoundi est venue lancer à Paris, jeudi 23 janvier, depuis une salle de l’Assemblée nationale où elle était accueillie par le député de Paris Rodrigo Arenas (NFP-LFI) : « Mayotte est en danger ! » Venue dans l’Hexagone à l’initiative de la première fédération nationale de parents d’élèves, la coprésidente de la FCPE Mayotte a su trouver les mots pour faire comprendre que la rentrée scolaire, annoncée pour lundi 27 janvier, n’était pour les 117 000 élèves mahorais et leurs familles qu’une dangereuse mascarade : « Tous les jours on se lève et on s’accroche à notre République française, et on nous dit que tout reprendra comme avant. Mais avant, rien n’allait ! L’éducation à Mayotte est en état de destruction. »
« On doit refuser la rentrée le 27 », lance la FCPE Mayotte
Parler de décalage entre les annonces des autorités, à Paris comme à Mamoudzou, la préfecture du 101e département français, et la réalité vécue sur le terrain, semble un délicat euphémisme. Le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, a concédé, mercredi devant l’Assemblée nationale, qu’assurer cette rentrée serait « un défi », avec notamment 30 % des établissements scolaires inutilisables ou encore occupés par des sinistrés. Mais même cela semble optimiste. Joint sur place, Ali Habla, secrétaire académique du syndicat Snuep-FSU (lycées professionnels), prend l’exemple de son établissement, le lycée polyvalent de Sada, sur la côte ouest de la Grande-Terre : « Nous avons 2400 élèves en temps normal, mais comme plusieurs bâtiments sont abîmés, lundi nous ne serons en mesure d’accueillir que 25 classes sur les 72 que compte habituellement le lycée, avec en plus une restauration qui ne fonctionne pas. » Il estime à environ 300 le nombre d’élèves du lycée partis à la Réunion ou en métropole. Sur l’île, certains établissements, trop endommagés, ne rouvriront pas avant le 3 février.
Pour Adidja Fatihoussoundi, la chose est entendue : « On doit refuser la rentrée le 27 », lance-t-elle au nom de la FCPE Mayotte. « Certains bâtiments scolaires étaient déjà endommagés depuis les séismes de 2016 et 2018, reprend-elle, avec des salles qui tenaient grâce à des étais, des étages entiers condamnés. Nous avons aujourd’hui des écoles dont les toits se sont envolés, dont les plafonds sont détrempés, et on nous parle de mettre des bâches… » Pour elle, cette reprise avec des « tentes-écoles, sans que les commissions de sécurité soient passées », constitue « un danger pour les enfants ». À cela s’ajoutent les problèmes de transports, dans une île qu’Ali Habla décrit comme un « no man’s land » encombré de gravats, de tôles, de détritus divers, où le ravitaillement n’arrive toujours pas, ou très peu. « Il y a des questions à poser sur l’acheminement de l’aide », illustre le syndicaliste : « Des familles ont reçu en tout et pour tout deux paquets de pâtes chinoises, un kilo de farine, un kilo de sucre et une boîte de tomates pelées. »
Des excréments de rats dans les repas de la cantine
« Nous ne faisons que subir des décisions prises à Paris » dénonce Adidja Fatihoussoundi pour qui même dans l’élaboration de la loi d’urgence pour Mayotte, adoptée par l’Assemblée le 22 janvier, « la population et les élus locaux ont été écartés ». Pour elle, le cyclone « Chido doit servir de modèle » pour « construire différemment de ce qui a été fait jusqu’à présent », sur cette île où « le temporaire devient toujours définitif ». Comme ces préfabriqués « qui mangent l’espace des cours de récréation » pour tenter d’accroître les capacités d’accueil insuffisantes dans ce département où, en primaire, la rotation des élèves – une classe le matin, une autre l’après-midi – est la règle. La plupart des écoles, ajoute-t-elle, « manquent déjà de tables et de chaises ». Pire : faute de cantine, des « collations froides » y sont livrées par « une entreprise en situation de monopole » dans des conditions déplorables : « Des caisses posées à même le sol dans des salles non équipées, exposées à la chaleur toute la matinée, et dans lesquelles on trouve parfois des excréments de rats » ! La FCPE Mayotte demande « une vraie reconstruction, avec des entreprises locales et des spécialistes qui maîtrisent les risques » environnementaux.
« Depuis la départementalisation en 2011, rien n’a été fait »
« Si le cyclone était passé sur la Bretagne, la région serait déjà remise sur pied » remarque, amer, Ali Habla, traduisant un des sentiments les mieux partagés sur l’île : les Mahorais ne sont de toute façon pas traités comme des Français à part entière. « Depuis la départementalisation en 2011, rien n’a été fait » appuie Adidja Fatihoussoundi, qui essaie néanmoins de positiver : « Depuis Chido, Mayotte est connue dans le monde entier. Au moins ça nous permet de dénoncer ce qui s’y passe. » Présent à l’Assemblée avec d’autres responsables locaux de la FCPE pour montrer leur solidarité, Daniel Amouny, président de l’organisation à la Réunion, remarque aussi que rien n’a été fait pour aider cet autre département français à accueillir les centaines de familles mahoraises venues, comme elles en ont le droit, s’y réfugier avec leurs enfants, « alors que nous manquons déjà d’écoles et de logements ». Une situation qui crée déjà des tensions et qui entraîne « un risque d’explosion sociale » : « Nous demandons un plan « La Réunion solidaire » », conclut-il. Une solidarité que la FCPE met déjà en œuvre, avec le lancement d’une cagnotte en ligne « Pour l’avenir des enfants de Mayotte ». Parce que ces derniers ont le droit, autant que tous les autres enfants de la République, à un avenir.
Olivier Chartrain