Par Maryse Dumas, syndicaliste
Comment permettre au syndicalisme d’être un acteur efficace de l’action contre l’extrême droite, alors qu’elle progresse partout en Europe et qu’elle est déjà au pouvoir dans l’un de ses pays fondateurs, l’Italie ? C’était le sens de la rencontre européenne tenue le 16 avril dernier, à Paris, entre la CGT, la CFDT, l’Unsa, la CGIL italienne, le DGB allemand et la Confédération européenne des syndicats. Ni grands discours ni effets de manches, les syndicalistes ont surtout cherché à faire converger leurs expériences, leurs analyses et leurs propositions. Un peu partout, mais pas toujours, les extrêmes droites sont en échec dans leurs tentatives d’entrisme dans les syndicats. Mais elles adaptent leurs stratégies.
Contester le rôle des syndicats, tenter de le réduire à une sorte de « corporatisme professionnel » en leur déniant toute légitimité à intervenir sur des sujets plus larges, sociétaux ou politiques, essayer de créer des organisations parallèles sont leurs principaux leviers. Ce serait donc une grande erreur de sous-estimer la perméabilité du mouvement syndical à des idées et comportements qui progressent dans la société et dans le monde du travail. La preuve en est la difficulté grandissante des syndicats à engager le débat à ce sujet au prétexte que ce serait « trop politique » et donc hors de leur champ.
La fonction de « rempart » qu’ils se reconnaissent tend de fait à s’amenuiser. Les discours « moralisateurs » ont atteint leurs limites, disent-ils. Il faut s’y prendre autrement, sans renoncer à démasquer l’imposture sociale de ces partis et leur épouvantable dangerosité. Il faut donc compléter la dénonciation par la mise en valeur de la force alternative du syndicalisme, surtout lorsqu’il est uni et qu’il lutte. Il permet alors à beaucoup de découvrir la solidarité en actes, ainsi que la possibilité de peser sur son destin. « La force des organisations syndicales est de permettre aux travailleurs de s’organiser eux-mêmes pour gagner », dit Sophie Binet. Encore faut-il que le syndicalisme se mette en condition de le faire largement, d’où l’importance de coaliser les efforts.
Car il y a des valeurs et des principes de fonctionnement communs à tout le syndicalisme qui méritent d’être déployés pour combattre le danger majeur de la progression de l’extrême droite. Citons la conception de la solidarité qui concerne tous les salariés de toutes nationalités et de toutes confessions, le fait d’organiser les salariés à partir des lieux de travail, de leur permettre d’agir et d’être réellement représentés là où se joue une grande partie de leur situation. Citons aussi la démocratie interne qui doit permettre à chacune et chacun de pouvoir se faire entendre et d’entendre et débattre de ce que d’autres ont à dire.
Mais le syndicalisme doit aussi combattre la désespérance et le ressentiment, en ouvrant des perspectives de transformation sociale. Ni la mondialisation ni la construction européenne ne peuvent ni ne doivent se poursuivre sur la base du dumping social. Le syndicalisme doit pousser l’idée d’harmonisation sociale, de droits sociaux fondamentaux, d’exigences de représentations et de pouvoirs pour les salariés et leurs représentants. Consacrer du temps et des forces à présenter, nourrir, valoriser, rendre accessibles des alternatives concrètes aux politiques libérales est essentiel. Pour y parvenir il y a besoin de luttes et d’unité, la réunion du 16 avril peut y contribuer.