L’annonce, par le chef de l’Etat, devrait intervenir au plus tard mercredi au cours d’un conseil de politique nucléaire. L’investissement pèserait 2 Md € et potentiellement quelque 4000 emplois.
Officiellement, tout le monde attend la bénédiction présidentielle. Dans le Gard Rhodanien pourtant, ce n’est plus qu’un secret de polichinelle, Marcoule devrait être choisi pour accueillir le prototype de SMR français, ce petit réacteur nucléaire dont la puissance ne devrait pas dépasser 340 mégawatts (MW) – contre 1650 MW pour le futur EPR – mais dont la modularité doit permettre de conquérir de nombreux marchés et relancer ainsi une filière en difficulté sur le plan international. L’annonce interviendrait au cours du conseil de politique nucléaire que doit réunir Emmanuel Macron mercredi.
Si les élus locaux font tous preuve de “prudence”, c’est qu’ils sont passés deux fois à côté d’un projet ambitieux ces dernières décennies. Il y eut le laboratoire de recherche souterrain de stockage des déchets nucléaire finalement implanté à Bure (Meuse), puis le prototype de réacteur de 4e génération Astrid, abandonné en 2019 quand le nucléaire n’avait plus la cote. Le territoire avait aussi pris un coup sur la tête l’été dernier, lorsque le site voisin de Tricastin (Drôme) a vu Bugey (Ain) lui rafler les deux futurs EPR et les 8 000 emplois qui vont avec.
Une vitrine, une histoire…
Sans aller jusqu’à de tels chiffres, les enjeux autour du SMR (pour small modular reactor en anglais) restent importants. L’investissement pèserait 2 milliards d’euros et pourrait réclamer jusqu’à 4 000 emplois, soit le nombre de salariés qui travaillent actuellement à Marcoule. Surtout, le site gardois deviendrait une vitrine pour la filière et renouerait ainsi avec sa riche histoire. C’est là qu’a eu a lieu, en 1956, la première production européenne d’électricité d’origine nucléaire. Marcoule a ensuite accueilli le prototype du réacteur à neutrons rapides Phénix, qui a produit 24,44 milliards de kilowatts-heures de 1973 à 2010, avant de devenir chantier pilote de démantèlement. Quelque 700 chercheurs du CEA travaillent encore sur le site sur le cycle du combustible. “On a la technicité, les terrains (ceux qui devaient abriter Astrid, NDLR), l’environnement… Les voyants sont au vert”, nous indique un acteur local.
Le prototype serait porté par Nuward, filiale d’EDF qui a scellé un partenariat avec des poids-lourds français du nucléaire et de l’industrie, dont le CEA, Framatome ou Nava Group, pour concevoir “le SMR de référence en Europe”, ambitionne le président Renaud Crassous. “Grâce à une combinaison de technologies éprouvées et d’innovations, il produira une énergie fiable et décarbonée et complétera ainsi la gamme de réacteurs nucléaires et technologies renouvelables d’EDF”.
Électricité, hydrogène, dessalement d’eau de mer…
Les premiers clients ciblés seront les grands électriciens, pour alimenter des sites où l’installation de réacteurs de grande taille n’est pas envisageable à cause du faible dimensionnement du réseau électrique ou du débit du cours d’eau. Nuward pourrait ainsi suppléer les centrales à charbon qui produisent quelque 300 à 400 MW de puissance. Mais le SMR pourrait aussi servir à produire de l’hydrogène, à alimenter des chauffages urbains voire des usines de dessalement d’eau de mer, entre autres utilisations. Sa technologie est la même que celle de l’EPR, un réacteur à eau pressurisé. Moins innovante que celle imaginée par ses concurrents, elle devrait toutefois permettre à Nuward d’être plus rapidement mis en œuvre. L’objectif est en tout cas de couler le premier béton en 2030.
Pas de cheminée
Contrairement aux centrales classiques, il n’y aura toutefois pas d’énorme cheminée sur les berges du Rhône. Les premiers projets révélés par EDF montrent de simples bâtiments blancs, avec un îlot nucléaire partiellement enterré au centre pour accueillir deux réacteurs de 170 MW.Si le président appuie sur le bouton cette semaine.
Des start-up aussi sur le marché
Le marché des SMR est en plein essor à travers le monde. Si deux seulement sont déjà finalisés, en Russie et en Chine, il existe près de 90 projets dans le monde. Pour ne pas se laisser doubler dans un secteur du nucléaire où la France a toujours été parmi les pionniers, l’État a ouvert une enveloppe de 1 Md€, la moitié pour Nuward, l’autre pour six start-up sélectionnées en novembre dernier, une première dans ce secteur. Parmi celles-ci, Hexana, Newcleo ou Naarea, qui visaient aussi le site de Marcoule pour concrétiser leur projet. Avec un argument solide : le choix d’une technologie à neutrons rapides, qui extrait 70 fois plus d’énergie à partir de la même quantité d’uranium. Autrement dit, ces réacteurs brûleront la quasi-totalité (96 %) de l’uranium et permettront, dans un cycle fermé, de mieux recycler les combustibles usés, produisant de fait moins de déchets. C’était justement le projet de recherche Astrid mené… à Marcoule mais abandonné en 2019.