Au début des années soixante, l’agriculture française traverse une forte crise qui se traduit par de violentes manifestations- un mort, un CRS lors d’un rassemblement à Amiens en 1960, la mise à sac de la sous-préfecture de Morlaix par des paysans en colère en 1961. L’agriculture souffre de structures modestes : plus de 80 % des exploitations disposent de moins de 20 hectares-et abritent une population vieillissante. L’heure est venue, estiment plusieurs experts de procéder à une vaste réforme structurelle devant permettre à l’agriculture française de « faire bonne figure » dans le nouvel ensemble européen qui se dessine, Edgard Pisani, avec l’accord de Michel Debré, Premier Ministre, propose en 1962 une Loi d’Orientation Agricole (LOA) qui bouleverse l’agriculture nationale. Le ministre souhaite « faire de l’agriculture française une puissance dans la compétition commerciale qui s’annonce »… en enterrant bien sur le modèle d’exploitation familiale.
Derrière la justification officielle d’Edgard Pisani, il est possible d’avancer une autre raison, la préoccupation des milieux industriels de réduire le prix des productions agricoles entrant dans le coût de la reproduction de la force de travail donc des salaires. Ce qui nuit à la compétitivité des productions nationales. Politique agricole et politique industrielle sont donc étroitement liées au travers de l’enjeu des « coûts salariaux ».
Il fallait en même temps viser à l’intégration de la production et de la consommation agroalimentaire dans des schémas d’échanges commerciaux internationaux, qui avait comme objectif de générer encore plus de profit pour les acteurs privés et publics. C’est le modèle agroalimentaire industriel qui a été choisi et promu avec l’accord à l’époque des syndicats agricoles.
Edgard Pisani a pris ultérieurement ses distances avec la doxa productiviste largement dominante au sein des organisations professionnelles agricoles. Et dépassant la problématique agricole nationale, c’est au niveau mondial qu’Edgard Pisani a poursuivi sa critique du productivisme et des politiques agricoles qui l’appuient.