Du Père Lachaise à l’esplanade du Louvre, du parterre de Notre-Dame au parc Monceau, les pigeons sont partout. À Paris, mais aussi dans quasiment toutes les villes au monde, et ce, depuis plusieurs millénaires – leur présence est d’ailleurs documentée depuis au moins 5 000 ans. Petite bébête que l’on côtoie sans vraiment plus la voir, le volatile, plus conspué qu’admiré, soi-disant vecteur de maladies, s’est pourtant toujours affirmé comme l’un des meilleurs amis de l’Homme.
Un signe extérieur de richesse
Au Moyen Âge, l’empereur Charlemagne fait de l’élevage du pigeon un « privilège nobiliaire ». Tous les châteaux, fermes seigneuriales et abbayes disposent d’un pigeonnier pouvant contenir jusqu’à 5 000 oiseaux. Sa possession est un signe de noblesse qui atteste de la richesse et la puissance de son propriétaire. À l’époque, les seigneurs utilisent les pigeons comme messagers commerciaux et politiques, notamment lors des Croisades.
Il faut attendre 1789, avec la Révolution et l’abolition du privilège instauré par Charlemagne, pour assister à la démocratisation des pigeonniers. Des colombiers naissent un peu partout sur le territoire, essentiellement pour exploiter de la viande bon marché. Au début du XIXe siècle, les financiers de l’époque prennent conscience de l’intérêt du pigeon voyageur. Le célèbre banquier Rothschild put, ainsi, apprendre, avant tout le monde, la défaite de Napoléon à Waterloo grâce à un pigeon messager. Cette information fut notamment à l’origine de sa fortune, lui permettant une lucrative opération de spéculation boursière.
Des outils de communication
Le pigeon s’est également illustré lors des multiples conflits des XIXe et XXe siècles. Pendant le siège de Paris, en 1870, les pigeons voyageurs ont ainsi acheminé 115 000 dépêches officielles et plus d’un million de messages privés. Lors de la Première Guerre mondiale, l’armée française améliore le dispositif en utilisant un autobus, dénommé « l’araba », transformé en pigeonnier, qui avance et recule selon le retrait ou la progression de l’adversaire. Un pigeon voyageur nommé « Le Vaillant » s’illustre tout particulièrement lors de la bataille de Verdun, en 1916. Puis, entre 1939 et 1945, 16 500 pigeons anglais seront parachutés en France, afin de rapporter au commandement allié des renseignements sur les lignes ennemies.
Après la Seconde Guerre mondiale, le pigeon voyageur est progressivement remplacé par le télégraphe, puis le téléphone. Si l’armée française possède encore aujourd’hui un colombier au mont Valérien, à Suresnes, et quelques pigeonniers mobiles, les services de l’oiseau ne sont guère plus sollicités, remplacés par les nouvelles technologies. « Nous avons complètement abandonné la domestication du pigeon », précise Julien Gasparini, professeur en écologie et évolution à la Sorbonne Université. « Il est redevenu sauvage et a, logiquement, colonisé l’espace urbain car c’est un oiseau qui a toujours été très proche de l’Homme. »
Son glorieux passé oublié, le volatile est désormais frappé du sceau de l’indésirable. Surnommé le « rat volant », le pigeon est réputé pour être un animal sale et vecteur de nombreuses maladies. « Les cas de transmission de maladie du pigeon à l’Homme sont extrêmement rares », rappelle pourtant le chercheur. « L’animal est porteur de maladies mais elles ne sont pas mortelles. Il y a, par exemple, la chlamydiose. Cela n’a rien à voir avec l’IST, que l’on connaît. Elle provoque uniquement des symptômes grippaux qu’il est facile de soigner avec des antibiotiques. Et il faut vraiment avoir de très grosses comorbidités pour l’attraper. »
Des victimes de la pollution humaine
L’apparence de l’animal participe à véhiculer cette idée reçue. Il est fréquent de voir des spécimens affublés d’une unique patte. La croyance veut que cela soit le résultat d’un parasite. L’anomalie est, en réalité, la conséquence de la pollution humaine. « Les pigeons s’enroulent les pattes dans les fils des poubelles et parfois même dans les cheveux humains. Cela créer un garrot qui provoque une nécrose faisant tomber la patte. Cette mutilation est un phénomène purement physique. Elle est corrélée avec l’urbanisation. Plus on est au centre des villes, plus il y a de chance de trouver des oiseaux amputés », précise l’enseignant-chercheur. La concentration de pigeons unijambistes en centre-ville est conjointement liée à celle de leur saleté supposée.
Si l’élevage du pigeon était essentiellement alimentaire au XVIIIe siècle, les compétences du volatile, capable de revenir à son pigeonnier, ont été observées et rapidement exploitées. C’est notamment grâce à la magnétite présente dans certains tissus de son cerveau, équivalant aux composants d’une boussole, qu’il parvient à retrouver son pigeonnier. Un même oiseau peut être relâché à des centaines de kilomètres de son pigeonnier et retrouver son chemin. La colombophilie est inscrite depuis 2012 à l’Inventaire national du patrimoine culturel immatériel de la France.
« On pense que c’est un oiseau sale. C’est faux. Il n’est pas intrinsèquement sale. C’est l’environnement dans lequel celui-ci évolue qui l’est. Le pigeon participe au métabolisme urbain en recyclant les déchets que nous produisons au quotidien. » Alors qu’il est impossible de mesurer le nombre de pigeons vivant à Paris, rappelle Julien Gasparini, la Mairie a choisi d’implanter des pigeonniers contraceptifs afin de réguler la population. « On secoue les œufs produits pour les empêcher de proliférer. Ce système permet également d’assurer la cohabitation entre l’Homme et l’animal. »
L’oiseau gagnerait à être davantage connu, notamment en vertu de sa capacité à absorber certains métaux. C’est ce qu’a révélé une étude menée par Marion Chatelain, une chercheuse de l’Institut d’écologie et des sciences de l’environnement de Paris. Selon elle, la sensibilité à la pollution varie selon les pigeons. Ceux qui possèdent un plumage foncé sont davantage capables de « séquestrer du zinc et du plomb dans leur plumage », indique-t-elle. Ces derniers sont évidemment plus visibles en centre-ville, là où la pollution est la plus dense. En outre, la fiente des pigeons s’avère un excellent fertilisateur. Une expérience menée par une écologue, Chloé Duffaut, a en effet démontré que celle-ci est un bon engrais pour les tomates cerises et les radis cultivés dans le cadre de l’agriculture urbaine. À quand le retour du pigeon voyageur (et agriculteur) ?
Avant de partir, une dernière chose…
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