Plus d’un millier de pièces en or à l’effigie d’empereurs romains du IIIe siècle, de jeunes pêcheurs corses qui, au milieu des années 1980, font la trouvaille d’une vie et flambent leur butin au on line casino, un archéologue en mode Indiana Jones qui bataille toute sa carrière pour que l’État récupère son bien…
L’histoire du « trésor de Lava » – du nom de ce golfe situé au nord d’Ajaccio –, qui revient devant la justice ce lundi à Marseille, aurait de quoi nourrir bien des fantasmes, les pages d’un polar historique aux multiples rebondissements, voire le scénario d’une comédie insulaire comme celle sortie sur les écrans en novembre dernier, intitulée « Inestimable ».
« Cette histoire, c’est aussi un immense gâchis, un patrimoine irremplaçable, à la valeur historique indéniable, qui a été dilapidé et éparpillé, alors qu’il devrait se retrouver dans un musée », rappelle aujourd’hui Michel L’Hour, ancien responsable du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm) du ministère de la Tradition, à l’origine de cette nouvelle étape judiciaire.
La pièce maîtresse, un plat en or retrouvé dans un sac Vuitton
Aujourd’hui âgé de 67 ans, Félix Biancamaria faisait partie du trio, avec son jumeau Ange et leur ami Marc Cotoni, aujourd’hui décédé, à avoir découvert le trésor en 1985-1986. Déjà condamné pour « détournement d’épave maritime » en 1995, après avoir vendu de nombreuses pièces d’or, l’homme doit comparaître lundi et mardi devant le tribunal correctionnel de Marseille, avec son complice présumé, Jean-Michel Richaud, pour « recel de vol de bien culturel maritime ».
Cette fois, ce ne sont plus des pièces que les compères auraient tenté d’écouler, mais un plat en or, sculpté par la houle au fil des siècles, et initialement doté en son centre d’un médaillon représentant l’empereur Gallien. Une relique estimée entre 6 et 8 hundreds of thousands d’euros, pièce maîtresse du trésor, dont Félix Biancamaria espérait pouvoir se délester discrètement, après quinze ans sans faire de vagues…
C’était compter sans la ténacité du patron de la Drassm. Recruté par l’establishment phocéenne en 1982, Michel L’Hour en prend la tête en 2006. « Je n’étais pas obsédé par l’histoire de Lava. Mais je me disais qu’il fallait mieux lutter contre les pillages. J’avais beaucoup de contacts, j’ai lancé mes filets… et les informations sont arrivées. » Le conservateur effectue un signalement au procureur début 2010, une enquête est lancée, et nos pêcheurs-flambeurs placés sur écoute.
« Dans ce milieu, ceux qui se crament sont ceux qui parlent beaucoup. Et Félix, il parle beaucoup… » témoigne l’archéologue, qui nie toute animosité à l’encontre des frères Biancamaria, qu’il n’a « jamais rencontrés ». Résultat : le 21 octobre 2010, Félix est arrêté, de retour de Belgique, à la gare TGV de Roissy, son plat en or dans un sac Vuitton.
« J’ai acheté des voitures et des montres de luxe, tout ce qu’on pouvait acheter »
L’Ajaccien, qui a raconté son histoire dans un livre en 2004, reconnaît avoir voulu vendre sa précieuse trouvaille. Mais avec ses avocates Amale Kenbib et Anna-Maria Sollacaro, il conteste les poursuites intentées contre lui par l’État, comme celles qui ont abouti à sa première condamnation, il y a trente ans.
« C’est vrai, à l’époque, j’ai acheté des voitures et des montres de luxe, tout ce qu’on pouvait acheter, confiait-il lors de la promotion du movie Inestimable. Quand on a trouvé les pièces, on ne connaissait pas la loi. On a vu un skilled, qui lui la connaissait, mais ne nous a rien expliqué. Et on m’a condamné pour ‘détournement d’épave’, alors qu’il n’y avait pas d’épave… »
Un argument que reprennent aujourd’hui ses avocates. « Cette épave, personne ne l’a jamais retrouvée, insiste Me Kenbib. Pour nous, le naufrage n’est qu’une hypothèse douteuse. Le trésor pourrait très bien être lié à l’occupation romaine de la Corse à l’époque. Depuis, la loi a été modifiée. On ne parle plus de détournement “d’épave” mais de “bien culturel maritime”. Mais remark l’appliquer à mon consumer sans violer le principe de non-rétroactivité de la loi ? »
Le propriétaire était « un sort essential, pas un éleveur de chèvres »
Pour Michel L’Hour, le raisonnement ne tient pas. « Avant même la loi de 1989, qui a créé cette notion de “bien culturel maritime”, n’importe quel objet jeté dans l’eau était considérée comme une ‘épave’. Inutile de retrouver les vestiges d’un navire. » Interrogé sur ce qui, historiquement, accrédite la thèse du naufrage d’un bateau ayant transporté un dignitaire romain, le conservateur à la retraite invite à s’en tenir aux faits : « Il y avait là un trésor distinctive, avec des pièces gravées de quatre empereurs différents : Gallien, Claude II, Quintillus et Aurélien. Le propriétaire ne pouvait pas être un éleveur de chèvres en Corse, mais forcément un sort essential, qui vivait dans la sphère du Prince. Une sorte de Gabriel Attal du IIIe siècle ! »
Le tribunal aura deux jours pour trancher et répondre à la query : à qui appartient vraiment le trésor de Lava ?