Après avoir fait face au pire, il s’était relevé. Adrien Honoré, 33 ans aujourd’hui, avançait dans son processus de rétablissement, même si on n’en guérit jamais. « C’est huit ans de travail, répète-t-il à l’Humanité. Huit ans pour seulement après se détendre un peu. Ensuite, on tente de tenir debout. »
Un chemin aujourd’hui bousculé par la tempête médiatique autour des faits, de violences et de viols, survenus à l’établissement scolaire privé Notre-Dame de Bétharram pendant près d’un demi-siècle. « On se dit : ” Enfin, on parle de ce que l’on a vécu.” Et en même temps, ça réveille tous les fantômes », rapporte-t-il d’une voix chevrotante.
En septembre 2003, Adrien n’a que 11 ans lorsque ses parents décident de l’y envoyer. « Ils ne savaient plus quoi faire pour me redonner le goût de l’école. Ils ont donc décidé de se tourner vers cet internat qu’ils pensaient d’excellence. » Sur place, il se rend très vite compte que son séjour sera un enfer.
« J’ai tout de suite été violenté », raconte-t-il, décrivant avoir été identifié comme un « bizut » en raison de son apparence. « J’étais tabassé par les élèves, en particulier ceux qui étaient aux mains des surveillants qui en faisaient leurs hommes de main, mais aussi par les surveillants eux-mêmes lorsque je me plaignais de ce que je subissais. »
« Je ne te crois pas, je ne crois que les prêtres »
À partir du mois de novembre, il subit trois viols par des élèves dans les toilettes de l’institution, mais aussi des agressions sexuelles de la part de prêtres encadrants lors d’ateliers de restauration de meubles anciens. « Ils venaient se frotter régulièrement, se souvient-il douloureusement. L’un d’eux est allé jusqu’à mettre la main entre mon pantalon et mon caleçon. Il me disait : ”Ne t’en fais pas, je remets seulement ton étiquette en place.” »
À chaque fois, Adrien est allé dénoncer ses actes auprès de la direction. Résultat : il a été collé chaque mercredi après-midi pendant toute une année. « Le directeur de l’époque m’a dit : “Je ne te crois pas toi, je ne crois que les prêtres et les surveillants” », souffle-t-il.
Bien des élèves, joints par nos soins, rapportent le même traitement. Une punition, cependant, surpassait toutes les autres : celle du perron. « Pour nous apprendre à ne pas dénoncer, on nous mettait quinze minutes en caleçon sur une arête du perron qui surplombait la Gave (un cours d’eau – NDLR) avec des livres dans les mains. Si un livre tombait ou si on glissait, on reprenait quinze minutes de plus », rapporte Marc, scolarisé dans cet établissement à la fin des années 1990.
D’autres nous rapportent des sanctions alternatives. Tenir pieds nus dans la neige jusqu’à supplier les surveillants d’arrêter. Ou encore l’obligation de passer la nuit à genoux au milieu des dortoirs. « Ce n’était pas une école, mais un camp de redressement », rapporte un autre ancien élève. Autour de l’établissement, dans les communes alentour, les pratiques étaient connues, confie Alain Carrié, ancien habitant de Lestelle-Bétharram (Pyrénées-Atlantiques). « On entendait des choses atroces. Partout dans la région, quand un enfant n’était pas sage, on lui disait : “Si tu continues, je t’envoie à Bétharram” », se souvient-il.
Un système et une impunité
Ces punitions cruelles, Adrien les a également vécues. Bien que meurtri, violenté sans cesse, et puni encore et encore, il n’a cessé de renouveler ses alertes. Jusqu’à, un jour, recevoir une menace par le corps encadrant qui l’a alors glacé : « Si tu continues à déconner, on te met à l’internat individuel ». « C’était une zone de non-droit, dangereuse sur le plan intime, développe-t-il. Le CPE de l’époque se promenait, choisissait ses victimes et faisait ce qu’il voulait des enfants. Beaucoup se faisaient agresser sexuellement. Nous le savions tous, mais nous ne disions rien par peur d’y être placés. »
À l’heure où nous écrivons ces lignes, 114 plaintes ont été recensées par le procureur de la République de Pau. Elles dénoncent des faits de violences physiques, d’agressions sexuelles et de viols qui auraient été commis depuis les années 1950. « La justice est le meilleur moyen de mettre fin à nos souffrances, reprend Marc. Ce système vit toujours et protège encore aujourd’hui nos bourreaux. »
La preuve ? À quelques centaines de mètres du collège-lycée, sur le site appartenant à la congrégation des Pères de Bétharram, se tient l’Ehpad Saint-Joseph. Dans ses murs, on trouve par exemple le père Henri Lamasse, 94 ans, accusé d’abus sexuel par Jean-Marie Delbos, 77 ans aujourd’hui, 16 à l’époque des faits.
Si ceux-ci sont prescrits, une enquête canonique a reconnu son statut de victime. Le prêtre, lui, a un temps été éloigné des lieux, exfiltré à Bethléem sur un autre site de la congrégation. Mais il a récemment été rapatrié à la suite d’un souci de santé, comme nous l’ont confirmé plusieurs sources internes de l’établissement. Comble de l’indécence, selon nos informations : il anime des prêches dans l’Ehpad. Comme si de rien n’était.
Avant de partir, une dernière chose…
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