La diatribe de Shawn Fain, dirigeant du syndicat United Auto Workers (UAW), s’est révélée prophétique. Suite à l’annonce du licenciement, en août dernier, de 2 450 salariés dans une usine de pick-up, située dans la ville de Warren, dans l’État du Michigan, le syndicaliste s’insurgeait : « Si un travailleur de l’automobile faisait un travail aussi médiocre que le PDG de Stellantis, il serait licencié. »
Près de quatre mois plus tard, le directeur général en question, Carlos Tavares, a bien été contraint de démissionner. Plombé par des bénéfices en bernes (-48 % au premier semestre 2024), l’homme d’affaires aux 36,5 millions d’euros de salaire annuel ne pourra pas aller au terme de son mandat, initialement prévu pour janvier 2026. Le montant de son indemnité de départ devrait cependant se chiffrer en dizaines de millions d’euros, a appris franceinfo auprès de membres du conseil d’administration, ce lundi 2 décembre.
Plusieurs « points de vue différents »
C’est par un simple communiqué que l’information a été annoncée, dans la soirée de ce dimanche 1er décembre : Carlos Tavares quitte ses fonctions avec « effet immédiat ». Le conseil d’administration de Stellantis – groupe né de la fusion, en 2021, de l’italo-états-unien Fiat Chrysler Automobiles (FCA) et du français PSA – avait déjà mis en sursis Carlos Tavares, 66 ans, en annonçant début octobre son départ à la retraite et lancé un processus de succession.
Plusieurs « points de vue différents » entre le conseil d’administration et le dirigeant ont accéléré sa démission, a euphémisé Henri de Castries, administrateur de Stellantis, dans le communiqué en question. La nomination d’un nouveau dirigeant devrait intervenir d’ici le premier semestre 2025.
Ce sont pourtant des désaccords de fond qui semblent avoir motivé le divorce, entre celui qui se qualifiait de « psychopathe de la performance » et le géant mondial de l’automobile. John Elkann, qui assure l’intérim en présidant un comité exécutif temporaire, était par exemple contre le moindre rapprochement avec un autre groupe automobile. Position que ne partageait pas le patron portugais.
Autre point de fracture : la fragilité du dispositif de Carlos Tavares, dont la stratégie de réduction massive des coûts, menée depuis son arrivée en 2014, atteignait ses limites. Le groupe Stellantis a ainsi toussé au premier semestre 2024, avec un bénéfice net divisé par deux, mais aussi des marges qui se sont effondrées.
Pas de quoi inquiéter l’ex-PDG, qui souhaitait réaliser un dernier « sprint » pour encore et toujours baisser les coûts de production. Un choix qui aurait effrayé le conseil d’administration – les trois premiers détenteurs d’actions sont la famille Agnelli, fondatrice de Fiat, avec 14,2 % du capital, la famille Peugeot, avec 7,1 % et Bpifrance, la banque publique détenue par l’État et la Caisse des dépôts, avec 6,1 % -, qui préfère privilégier « l’intérêt à long terme ».
L’année 2024 a été marquée par des retards dans les lancements de plusieurs modèles. 1 148 000 véhicules ont été livrés au troisième trimestre, soit une baisse de 279 000 unités sur une année. La baisse de la production dans de nombreuses usines n’avait ainsi pas manqué d’inquiéter, comme en Italie, patrie de Fiat, où des milliers de manifestants lui avaient demandé des comptes mi-octobre.
En conflit avec les syndicats et certains gouvernements
La transition du thermique à l’électrique, promue par le directeur général, a quant à elle causé des retards à la chaîne, comme pour les modèles siglés Citroën, les C3 et C3 Aircross. Le chiffre d’affaires du géant de l’automobile en Europe a alors subi une baisse de 12 %, tandis que la chute s’est avérée bien plus importante en Amérique du Nord, marché primordial pour Stellantis, avec 42 %.
La politique du « cost-killer », dont le salaire s’est envolé au fil des ans, a surtout causé d’innombrables fractures sociales. Salariés licenciés, criblés de dettes et poussés au suicide, usines délocalisées dans des pays à bas coûts, milliers de postes supprimés à travers le monde… Carlos Tavares – obsédé par la réussite de son plan et par l’idée d’atteindre une marge opérationnelle à « deux chiffres » – n’a jamais hésité à détruire les conditions de travail – et la vie – des salariés. Son peu de préoccupation à cet égard a ainsi amené l’homme d’affaires à entrer en conflit avec les syndicats, et même certains gouvernements.
John Elkann a par exemple dû informer en personne le président italien Sergio Mattarella et la cheffe du gouvernement italien – d’extrême droite – Giorgia Meloni de la nouvelle de la démission de Carlos Tavares. Cette dernière lui reprochait d’avoir délocalisé des usines situées en Italie. En France, la direction du groupe avait assuré la semaine dernière qu’aucune fermeture d’usine n’était prévue à court terme et que les commandes iront, au moins, jusqu’en 2027. Au Royaume-Uni, le groupe a cependant annoncé la fermeture de son usine Vauxhall à Luton (nord de Londres), où étaient employés plus de 1 100 salariés.
« On savait que Carlos Tavares était sur la sellette mais nous avons besoin maintenant de retrouver un climat social plus serein », a réagi Benoît Vernier, représentant CFDT chez Stellantis, auprès du Monde. Cette annonce « soudaine (…), combinée à la mise en place d’un comité exécutif temporaire sans leadership fort, expose dangereusement le groupe à une crise majeure », a de son côté réagi Philippe Diogo, délégué syndical central FO du groupe. Car, pour que de réels changements puissent advenir, encore faut-il que le conseil d’administration change complètement de stratégie. Un revirement qui serait surprenant, malgré la fin du mandat de Tavares.
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