Il serait juste d’arrêter de parler de cryptomonnaie dans le cas du bitcoin, puisqu’il n’a rien d’une monnaie : il ne sert pas d’unité de compte et n’a que très marginalement servi à des échanges marchands. La première transaction, il y a bientôt quinze ans, 2 pizzas en échange de 10 000 bitcoins (soit un peu plus de 900 millions d’euros au cours de la mi-décembre) n’a pas fait d’émules du fait de sa volatilité extrême. Le qualifier de cryptoactif paraît plus juste : ce n’est qu’un produit spéculatif dont la valeur dépend de la confiance qui lui est accordée. Et celle-ci a fait un bond à la suite de l’élection de Donald Trump, dépassant pour la première fois les 100 000 dollars.
La prochaine administration républicaine a fait plusieurs promesses pour s’assurer du suffrage des passionnés de crypto – des électeurs masculins plutôt jeunes – et de leur soutien financier également, puisque 48 % des financements d’entreprises à la campagne de Trump viennent de ce secteur. Première promesse déjà tenue : se débarrasser du patron du gendarme de la Bourse états-unienne, la SEC, notoirement hostile aux cryptomonnaies. Les plus grandes places de change étaient dans son collimateur, le géant chinois Binance comme la plus grosse plateforme nord-américaine Coinbase. Le patron de cette dernière a d’ores et déjà été reçu par l’équipe de transition de Trump pour parler de l’avenir de la SEC…
En outre, la sénatrice républicaine du Wyoming défend un projet de loi, intitulé le Bitcoin Act, qui entend faire acheter par la banque centrale états-unienne 1 million de bitcoins – sur les 21 millions au maximum qui seront en circulation puisque son émission est limitée –, soit 200 000 bitcoins par an, moins ceux qui ont déjà été saisis par la justice dans de nombreuses affaires de fraude ou de blanchiment où le cryptoactif a joué un rôle central… Là encore, il s’agit de garder les bitcoins dans la Réserve fédérale, à côté des lingots d’or. Cela devrait soutenir les cours, mais cela ne transformera pas le bitcoin en monnaie.
En 2021, le président salvadorien Nayib Bukele avait bien tenté de faire du bitcoin sa devise nationale. Il a acheté plusieurs milliers de bitcoins, installé des distributeurs… Mais, trois ans après, quasi aucun commerce local n’accepte les paiements en cryptomonnaie, et le budget et les services publics ont beaucoup souffert de l’effondrement de 60 % du bitcoin entre 2021 et 2022. La hausse des cours n’a pas sauvé la mise du pays, qui vient de se mettre sous la coupe du FMI et de reléguer le bitcoin en monnaie optionnelle.
2 000 milliards : C’est, en euros, la valeur cumulée des bitcoins émis, l’équivalent du PIB de l’Italie ou du Canada
Un patrimoine très concentré
Quant à l’état général de l’adoption des cryptos dans le monde, il faut se débattre avec des chiffres apparemment contradictoires. Des études commandées par l’industrie du secteur avancent que 12 % des Français, et 40 % des États-Uniens de moins de 35 ans (toujours à plus de 70 % des hommes) posséderaient des cryptoactifs. Cela concerne les cryptomonnaies, comme le bitcoin ou l’ether, mais aussi les NFT (présents comme outils spéculatifs dans l’art numérique, le jeu vidéo…) et les stablecoins (des cryptos indexés sur le cours du dollar ou de l’euro). Et, de fait, toute une partie de ces utilisateurs n’ont pas vraiment conscience qu’ils détiennent un cryptoactif : ils achètent un gadget unique dans un jeu vidéo, détiennent une carte de membre à une communauté protégée par une blockchain ou tout autre usage qui trempe, plus ou moins, dans ce qu’on appelle le Web 3.Ceux qui détiennent des cryptomonnaies, en revanche, les considèrent comme plus rentables que les outils d’épargne traditionnels, surtout en cette période d’inflation. Ses utilisateurs ne s’y trompent pas : il s’agit d’un simple investissement, hormis pour une petite proportion d’entre eux qui s’en servent pour envoyer des fonds à l’étranger à peu de frais. La cartographie des cryptomonnaies (comme celle réalisée conjointement par London School of Economics et le MIT) montre qu’elles sont détenues par très peu de mains, et que la concentration s’accélère depuis que de gros acteurs comme le fonds d’investissement BlackRock s’y sont mis. 1,86 % des portefeuilles détiennent plus de 90 % de tous les bitcoins disponibles et le bitcoin lui-même représente les deux tiers de toute la valeur du monde des cryptomonnaies. Pire, 90 % des mouvements de fonds se font entre les comptes d’une même personne, physique ou morale. Quant aux échanges « marchands », ils sont très peu nombreux – entre 1 et 3 % des transactions – et servent notamment à acheter des produits illégaux (drogue, virus, données…) ou à payer des rançons.
On ne le dira jamais assez, mais le bitcoin est une aberration écologique. Son fonctionnement requiert 173 TWh de consommation électrique, l’équivalent de l’Indonésie, pays de 260 millions d’habitants. Cette débauche d’énergie, complètement disproportionnée au vu de l’utilité sociale du produit, est liée au fonctionnement de sa blockchain, le procédé technique sur lequel il repose. C’est un genre de livre de comptes, dont l’intégrité est vérifiée en permanence par des machines. On appelle ça le minage, et c’est en minant, qu’on récolte de nouveaux bitcoins. Avec la montée des cours, des entreprises ont créé de véritables usines remplies de milliers de cartes graphiques (pour la puissance de calcul) pour grappiller les bitcoins, aggravant encore le bilan écologique, puisqu’il faut refroidir ces usines, et que la fabrication des semi-conducteurs est très coûteuse en terres rares et en eau. L’autre cryptoactif connu, l’ethereum, a changé le fonctionnement de sa blockchain, réduit sa consommation de 99,9 % et ne consomme plus que 0,0026 TWh./
Avant de partir, une dernière chose…
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