Les forces soutenues par les États-Unis dans l’est de la Syrie ont lancé une attaque majeure contre trois postes occupés par des hommes armés pro-gouvernementaux le 12 août 2024, tuant au moins 18 combattants dans une rare provocation près de la frontière avec l’Irak.
Cette attaque est la pire depuis près d’un an dans l’est de la Syrie. Début août, huit soldats américains stationnés en Syrie ont été blessés lors d’une attaque de drones apparemment menée par des militants soutenus par l’Iran.
Ces incidents mettent en lumière un fait souvent oublié : les États-Unis sont toujours présents en Syrie. Le Conseil militaire de Deir ez-Zor, à l’origine de l’attaque du 12 août, fait partie des Forces démocratiques syriennes, une alliance dirigée par les Kurdes qui est un partenaire majeur des États-Unis en Syrie. Le groupe et ses affiliés locaux contrôlent désormais une grande partie du territoire autrefois contrôlé par le groupe terroriste État islamique.
Début 2024, les États-Unis disposaient encore de près de 1 000 militaires dans l’est de la Syrie. Des rapports récents suggèrent qu’en raison de la tension croissante dans la région, des ressources et des soldats supplémentaires ont été envoyés dans ce pays déchiré par la guerre civile.
Les troupes américaines en Syrie ont des objectifs divers : aider à prévenir la résurgence du groupe État islamique, soutenir les alliés kurdes de Washington et contenir l’influence de l’Iran et de la Russie – qui ont également une présence militaire en Syrie.
Mais les coûts et les risques associés à cette implication indéfinie des États-Unis pourraient être considérables. Une présence prolongée risque de prolonger l’emprise américaine dans un conflit long et coûteux dont on ne voit pas clairement la fin, tout en agaçant la Turquie, alliée de l’OTAN, qui considère les groupes kurdes de Syrie comme une menace transfrontalière.
En tant qu’expert de la sécurité au Moyen-Orient, je me concentre sur l’évolution du paysage géopolitique et je soutiens que les États-Unis doivent soigneusement peser leurs engagements en Syrie par rapport aux objectifs plus vastes de stabilité régionale et à leurs relations avec leurs alliés et adversaires. En fin de compte, que les États-Unis décident de rester ou de se retirer, cette décision aura de profondes implications pour la Syrie ainsi que pour les acteurs régionaux et mondiaux impliqués dans la guerre civile en cours dans le pays.
L’engagement croissant des États-Unis
L’implication des États-Unis dans la guerre civile syrienne est une histoire complexe. Peu après le début de la guerre civile en 2011, l’administration Obama a imposé des sanctions au président syrien Bachar el-Assad et a soutenu des factions de l’opposition.
L’administration américaine a toutefois été très indécise sur le moment, la manière et l’ampleur de son intervention contre le régime d’Assad. Cette indécision s’explique en partie par la lassitude croissante de l’opinion publique américaine face à la guerre, après une décennie d’engagement en Afghanistan et en Irak. Dans le même temps, Washington a eu du mal à trouver des partenaires fiables sur le terrain en Syrie.
Alors que les manifestations populaires se sont transformées en un conflit militaire à grande échelle en 2012, le président Barack Obama a déclaré que l’utilisation d’armes chimiques serait une « ligne rouge » pour les États-Unis. L’année suivante, l’armée syrienne a fait exactement cela, en déployant des armes chimiques lors d’une attaque sur la Ghouta, une zone contrôlée par les rebelles, entraînant la mort d’environ 1 500 civils, dont plus de 400 enfants.
L’administration Obama a cependant hésité à impliquer militairement les États-Unis dans le conflit, craignant une escalade due au soutien croissant de la Russie et de l’Iran au régime.
L’engagement militaire américain en Syrie a commencé en septembre 2014, lorsqu’une coalition dirigée par les États-Unis, comprenant le Royaume-Uni, la France, la Jordanie, la Turquie, le Canada, l’Australie et d’autres, a lancé une campagne aérienne contre le groupe État islamique et le groupe radical al-Nosra en Syrie.
Après les frappes aériennes, les troupes américaines sont entrées dans le nord-est de la Syrie pour soutenir une force kurde syrienne connue sous le nom d’Unités de protection du peuple, ou YPG, puis les Forces démocratiques syriennes, un groupe-cadre composé de groupes majoritairement kurdes et d’autres groupes ethniques et rebelles.
Les États-Unis n’ont pas pris d’action militaire directe contre le régime d’Assad avant avril 2017, lorsque l’administration Trump a lancé une frappe de missiles sur la base aérienne de Shayrat en réponse à une attaque chimique présumée dans la ville de Khan Shaykhun, dans la province d’Idlib.
En décembre 2018, le président Donald Trump a ordonné le retrait des 2 000 à 2 500 soldats américains présents au sol en Syrie, estimant que les opérations de la coalition contre le groupe État islamique avaient été largement couronnées de succès et que la présence américaine dans l’est de la Syrie était inutile.
Cependant, au lieu d’un retrait total, les États-Unis ont annoncé qu’une force d’urgence resterait sur place indéfiniment.
Présence militaire aujourd’hui
Selon le ministère de la Défense, environ 900 soldats américains et un nombre non divulgué de sous-traitants opèrent en Syrie en 2024. La plupart des forces américaines sont déployées dans le nord-est de la Syrie en soutien aux Forces démocratiques syriennes, et certaines soutiennent l’Armée syrienne libre dans la garnison d’al-Tanf, dans le sud-est de la Syrie, le long d’une route de transit entre l’Irak et la Syrie utilisée à la fois par les combattants du groupe État islamique et par les milices soutenues par l’Iran.
Mais le soutien militaire américain aux groupes kurdes en Syrie a suscité la colère de son allié de l’OTAN, la Turquie, qui considère les YPG comme une émanation du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation désignée comme terroriste.
En accordant la priorité aux préoccupations sécuritaires de la Turquie, l’administration Trump a ordonné à toutes les forces américaines de se retirer du Rojava début octobre 2019, en prévision d’une incursion turque dans la région. Mais cette décision a également porté atteinte à l’alliance des États-Unis avec les Forces démocratiques syriennes.
Pendant ce temps, pour apaiser leurs alliés kurdes, les troupes américaines se sont repositionnées dans l’est de la Syrie, renforçant leur présence dans les gouvernorats d’al-Hasakah et de Deir ez-Zor – deux régions syriennes contrôlées par les Forces démocratiques syriennes et riches en pétrole et en gaz.
Ce que pourrait signifier un retrait américain
La présence militaire américaine sert actuellement trois objectifs.
Premièrement, sa présence dans le nord-est de la Syrie a un effet dissuasif sur les incursions militaires du régime syrien ou de la Turquie dans l’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie (AANES). Si les forces américaines devaient se retirer, les Forces démocratiques syriennes, qui agissent de facto comme l’armée de l’AANES, devraient négocier l’autonomie de la région avec la Turquie et le régime syrien, qui ont tous deux clairement exprimé leur opposition à l’autonomie kurde.
Les récentes tentatives de rapprochement entre la Turquie et la Syrie ont également alimenté les craintes des Kurdes selon lesquelles un retrait américain complet ferait pencher la balance du pouvoir en leur défaveur dans une Syrie divisée, mettant en péril leur survie même.
Deuxièmement, la présence américaine dans le sud-est de la Syrie exerce une pression sur l’Iran voisin, dont les États-Unis cherchent à limiter l’influence dans la région. La présence américaine sert également de contrepoids à l’influence et aux ambitions russes en Syrie et au Moyen-Orient. Les frappes aériennes russes de 2015 sur les zones contrôlées par l’opposition à Alep et le bombardement d’hôpitaux ont notamment été essentiels pour aider Assad à regagner du terrain et à se maintenir au pouvoir.
Troisièmement, les États-Unis et leurs partenaires locaux auraient arrêté environ 5 000 combattants du groupe État islamique et 50 000 membres de leurs familles endoctrinés. Si ces détenus étaient libérés par une quelconque autorité, le groupe pourrait se reconstituer et s’agrandir. Pour souligner la menace, les États-Unis, en collaboration avec les Forces démocratiques syriennes, ont déjoué une importante évasion de prison par des combattants du groupe État islamique au début de l’année 2022.
La présence américaine en Syrie n’est toutefois pas assurée. En 2023, les républicains de la Chambre des représentants ont tenté de forcer l’administration Biden à retirer les troupes restantes. Ils ont échoué. Mais Trump, de nouveau candidat républicain à la présidentielle de 2024, a clairement fait savoir qu’il ne voyait aucun rôle pour les États-Unis dans des « guerres sans fin ».
En attendant, le retrait des troupes américaines, malgré ses conséquences, est prioritaire. L’administration Biden a retiré toutes les troupes américaines d’Afghanistan en 2021 et se tourne officiellement vers un rôle de conseil en Irak.
Mais pour l’heure, la présence militaire américaine en Syrie se poursuit et illustre les défis plus vastes auxquels la politique étrangère américaine est confrontée au Moyen-Orient. La décision de rester ou de se retirer est une décision stratégique qui aura des répercussions dans toute la région.