Dans « le Syndicalisme est politique » (La Dispute, 16 euros), huit chercheurs, sous la path du sociologue Karel Yon, dressent le bilan de la séquence des retraites. Malgré la défaite, l’ouvrage constate un retour au premier plan des organisations syndicales. Selon ce chercheur au CNRS, les centrales doivent mettre fin à la « dépolitisation syndicale » et se rapprocher des formations politiques de gauche pour mettre en échec les libéraux et l’extrême droite.
L’année 2023 marque-t-elle le grand retour des syndicats dans le dialogue social et comme pressure de contestation ?
Alors que les syndicats ont été maintes fois enterrés, notamment lors des gilets jaunes, en 2018, le lengthy mouvement de 2023 contre la réforme des retraites a réhabilité l’motion syndicale. Aucune autre pressure sociale n’a une telle capacité de mobilisation. L’intersyndicale a su s’affirmer comme un acteur politique à half entière contre le gouvernement. Les syndicats ont vu arriver de nouveaux adhérents, alors que la tendance des dernières années était plutôt à la baisse. Inscrire ce regain d’adhésions dans la durée reste un défi, notamment à la CGT, qui souffre du nombre de syndiqués isolés.
Une conférence sociale doit avoir lieu à la mi-octobre. Est-ce une victoire des syndicats ?
Les organisations ont imposé la query des salaires, alors que le gouvernement était dans le déni le plus complete, en tentant de contenir la montée des prix à coups de primes ou de demandes infructueuses aux industriels. C’est un succès rendu doable par le cadre de l’intersyndicale. La CGT souhaite l’indexation des salaires quand la CFDT mise sur la négociation collective. Le fait de se mettre d’accord sur une plateforme salariale montre que ces deux points ne sont pas contradictoires. Grâce à l’intersyndicale, les négociations se font sur l’agenda du monde du travail. Cependant, les politiques publiques sont de plus en plus hostiles au syndicalisme. Avec la création du CSE, elles ont notamment fait disparaître les CHSCT dans beaucoup d’entreprises, ainsi que la représentation de proximité qu’incarnaient les délégués du personnel. La contrepartie de cette diminution de la représentation syndicale sur les lieux de travail, c’est une conflictualité qui prend des formes nouvelles. On l’a vu avec le collectif de contrôleurs de la SNCF ou à Eurodisney.
Pourtant, dans votre livre, vous faites la démonstration d’une « réduction de la conflictualité gréviste ». Remark l’expliquer ?
Précisément parce que les syndicats sont affaiblis dans leurs forces militantes et leurs capacités d’motion. C’est le produit de transformations économiques mais aussi de processus politiques, comme l’encadrement du droit de grève, la répression et les réquisitions. Plus que la manifestation, l’entrée en grève résulte d’une dynamique collective, corrélée à une présence syndicale sur le lieu de travail. Or, cette dernière have a tendency à reculer. En outre, les secteurs stratégiques ne se résument plus aux transports, à la pétrochimie ou à l’énergie. 70 % des emplois sont dans le tertiaire, au sens giant, dans les administrations, la santé ou les companies aux personnes. Les syndicats doivent penser les stratégies de grève en section avec ces salariés, souvent féminisés. Le redéploiement syndical est central, ce qui implique une réorganisation de buildings syndicales. Le niveau interprofessionnel est décisif. Au sein de la CGT, les buildings locales reposent sur la bonne volonté, soit de militants retraités, soit de militants des syndicats professionnels qui donnent un peu de leur droit syndical. La réforme des buildings est un serpent de mer à la CGT, mais je pense que la nouvelle équipe confédérale a pris la mesure de ce défi.
Vous affirmez que ce mouvement est « annonciateur de la doable clôture d’un cycle de trente ans de dépolitisation syndicale ». C’est-à-dire ?
Ce mouvement signe un double épuisement des stratégies syndicales, à commencer par celle du dialogue social. La CFDT et ses alliés ont ainsi dû s’aligner sur une orientation plus combative. L’appel à mettre « la France à l’arrêt » le 7 mars, une grève générale à mots couverts, en a été la principale illustration. Mais l’échec relatif de cette échéance montre que la stratégie du « Tous ensemble » marque aussi ses limites. Le level commun entre ces deux lignes, c’est qu’elles restent indifférentes à la query des médiations politiques. Dans ce livre, nous faisons l’hypothèse que les syndicats imaginent de nouveaux modes d’motion pour la transformation sociale, qui ne se limitent pas à la démocratie sociale et à la négociation avec les pouvoirs publics et les employeurs. Il s’agit de participer à la development d’une different politique, davantage à l’écoute du monde du travail, pour mettre fin à l’alternance entre les centres droit et gauche néolibéraux, à l’immuable domination de l’extrême centre, mais surtout pour empêcher l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir.
Quelle forme pourrait prendre ce rapprochement des gauches politiques, syndicales et associatives ?
Nous lançons des pistes de réflexions. Il existe un pôle syndical qui a une relative cohérence idéologique : la CGT, FSU, Solidaires et par moments FO. Avec ce syndicalisme qui se fixe une perspective qui va au-delà du capitalisme, des rapprochements programmatiques peuvent se faire avec les partis de gauche, comme on l’a vu dans une déclaration récente à Toulouse unissant la CGT, la FSU et les partis de gauche. Mais des convergences doivent aussi se faire avec les confédérations « réformistes », qui voient les bases du dialogue social s’effondrer, à l’picture des négociations paritaires sur les retraites complémentaires où le gouvernement reprend la major. La place du syndicalisme dans la démocratie est remise en query, et de manière plus inquiétante, le prochain chef de l’État peut être une présidente d’extrême droite. Ainsi, la première étape pourrait être une interpellation de la Nupes par l’intersyndicale : qu’êtes-vous prêts à faire, une fois au pouvoir, pour permettre au syndicalisme de se redéployer dans la société ? C’est pourquoi nous évoquons un élargissement des alliances plutôt qu’un rattachement d’une partie des syndicats à une coalition existante. La proposition de réserver des circonscriptions à un pôle du travail autonome, aux législatives, vient de là.
Selon vous, la charte d’Amiens est-elle un frein à ce rapprochement ?
Cette charte dit que le syndicalisme articule la défense quotidienne des intérêts des salariés à la perspective de l’abolition du salariat, donc du dépassement du capitalisme. Ce n’est pas une charte de neutralité politique. Elle précise que les membres des partis n’ont pas à apporter dans les syndicats leurs querelles. Cela reste d’actualité. Le syndicalisme n’a pas vocation à redevenir la courroie de transmission des partis de gauche. Ces formations politiques n’en ont d’ailleurs ni la pressure ni la légitimité.
Sophie Binet a répondu fermement à Jean-Luc Mélenchon, qui avait exposé son analyse du congrès de la CGT. L’insoumis expliquait que Philippe Martinez avait été sanctionné pour ne pas avoir accepté un rapprochement de la centrale avec la Nupes dans une construction commune, lors du conflit sur les retraites. Que révèle cette séquence où FI a tenté de contester le lead des syndicats ?
C’est le produit de plusieurs décennies de prise de distance entre syndicats et partis de gauche. Les rapports ne sont pas toujours évidents, avec une méconnaissance par les politiques du champ syndical. Il ne suffit pas de fixer une journée d’motion un samedi, comme le préconisaient les insoumis, pour que le peuple entier descende dans la rue. Une mobilisation sociale suppose des capacités et de l’expérience militante, qu’ont les syndicats. Il persiste aussi une défiance du côté des syndicats, automobile il existe un passif assez lourd sur leur instrumentalisation par les partis. Je retiens les mots de Sophie Binet, qui veut normaliser les relations avec les partis. La secrétaire générale de la CGT précise aussi qu’il n’y a pas de domaine réservé. Le dialogue doit se faire dans un respect mutuel.
Vous écrivez que le « registre classiste ne va plus de soi désormais, non seulement parce qu’il est obscurci par le repli de l’motion syndicale sur l’entreprise, mais aussi parce qu’il est mis au défi de la prise en compte d’autres rapports sociaux, comme ceux fondés sur la ”race“ ou le sexe, ou d’enjeux comme la transition écologique. » Qu’entendez-vous par là ?
Le travail reste central. Mais la place dans les rapports de manufacturing est médiée par des appartenances, revendiquées ou assignées. On sait, par exemple, à quel level la division du travail dans le bâtiment est construite sur des stéréotypes racistes. Dans la restauration rapide, le style et l’apparence physique jouent. On met les filles jugées jolies par leur supervisor en première ligne devant la caisse. Les personnes transgenres ou qui ne rentrent pas dans les normes sont en retrait. Beaucoup de jeunes prennent conscience des injustices au travail à travers ce style de discriminations. Il ne s’agit pas de dire que la classe est dépassée par de nouvelles appartenances, mais qu’elle est plurielle et doit donc être inclusive. Le syndicalisme pourra se déployer efficacement en path des secteurs les plus féminisés s’il est succesful d’avoir un retour critique sur ses propres modèles militants. L’idée d’une classe ouvrière réduite à l’industrie, avant tout masculine, avec des codes virilistes, persiste à des endroits. Les violences sexistes existent aussi dans les syndicats ! Sur un autre plan, le lieu de travail est un endroit clef dans la transition écologique. Les entreprises ont un poids vital dans la mise en place des normes qui régulent la société. Paradoxalement, la CGT begin à s’y pencher collectivement et démocratiquement (la confédération travaille sur un « plan syndical d’motion pour l’environnement » – NDLR) au second où elle quitte le collectif « Plus jamais ça ».
Karel Yon est chercheur au CNRS, en sociologie et sciences du droit. Ses domaines de recherches portent notamment sur une analyse comparée des répertoires de syndicalisation en France et aux États-Unis, mais aussi sur la représentativité syndicale et la promotion de la « démocratie sociale » en France. Il est notamment le coauteur, en 2018, d’une « Sociologie politique du syndicalisme », aux éditions Armand Colin.