Dans cette immense salle de live performance chauffée à bloc, la sono crache les paroles de Desireless. Des jeunes, pour beaucoup, reprennent à tue-tête le chorus de « Voyage voyage », tube iconique des années 1980. Chaque premier samedi du mois, l’histoire se répète. Le Supersonic – lieu emblématique et branché de la scène different au cœur de Paris – consacre une soirée aux 80’s, la « Dancing with Myself ». Pour l’event, les couleurs kitsch des clips vidéo de l’époque font écho aux projecteurs multicolores qui balayent la piste de danse. Ce samedi soir, alors que des centaines de jeunes s’y entassent, ils sont nombreux dehors, malgré le froid hivernal, à espérer pouvoir entrer pour se défouler sur des airs de la génération de leurs mother and father.
Oriane, la vingtaine, trépigne dans la file d’attente. Elle aussi attend son retour vers le passé, le temps d’une soirée. « J’éprouve un attachement aux années 1980, presque une forme de nostalgie », explique celle qui est née à la fin des années 1990. Nicolas, même génération, poursuit : « À chaque fête de famille, on met ces chansons-là. Tout le monde connaît et danse dessus. C’est indémodable. » Son amie, Valentine, acquiesce d’un signe de la tête. « Même si aujourd’hui la musique des années 1980 est un peu révolue, on a envie de la retrouver. »
Le public en transe lui donne raison. Ici, tout semble s’être arrêté il y a quarante ans. Cécilia Sparano, responsable de la communication au Supersonic, le constate : depuis 2016, la Dancing with Myself marche particulièrement bien. « Elle apparel un public diversifié, ça va des trentenaires aux jeunes de 18 ans. » Pourquoi le thème des années 1980 ? « Pour l’esthétique de cette époque, reprend-elle. On aime le son des synthétiseurs, les boîtes à rythmes mais aussi les seems to be excentriques, les couleurs vives, les coiffures folles, et tous les tubes comme ceux de New Order, Indochine, Niagara, Wham, Billy Idol, Madonna, Bananarama… » Et puis, comme le dit Oriane, « on a peut-être l’idée que l’époque était plus insouciante ».
Paris, centre d’un déchaînement everlasting
Brushing XXL, mèches gaufrées, coupes mulet. Leggings fluo, pantalons hauts et survêtements qui font mal aux yeux. Glam steel et disco. Néons colorés… La nostalgie des 80’s emprunte des tonalités kitsch assumées. Oubliés les années fric, le triomphe de l’entrepreneuriat à la Tapie, le chômage, Le Pen, le sida, Tchernobyl… Depuis une quinzaine d’années, les jeunes followers d’une époque qu’ils idéalisent ne jurent que par les strass et rien d’autre. Alors que la crise s’enracine, à coups d’épidémie, de réchauffement climatique et d’ubérisation galopante de la société, il aurait été tellement bon, assurent-ils, de vivre cette période rêvée !
Que ce soit dans le design, la musique, le cinéma et la tradition populaire, elle ne cesse de marquer son retour. En ce temps-là, Gaultier imposait sa mode dans la pub et la pop – qui ne se souvient du corset unbelievable de Madonna ? « Vous avez quoi comme cigarette ? » demandait Coluche dans son sketch de l’auto-stoppeur alors qu’on pouvait fumer dans la voiture, le practice et même l’avion. Les selfies se faisaient à deux dans un photomaton noir et blanc et pour passer un coup de fil dans la rue, il y avait les cabines à un franc alors que le Minitel, le CD et les jeux vidéo faisaient tout juste leur apparition.
Paris était le centre d’un déchaînement everlasting et on se ruait au Palace et aux Bains Douches. Le « C’est la ouate » de Caroline Loeb, chanson de gueule de bois, véritable hymne à la paresse, devenait en 1986 un tube worldwide. « Les années 1980, c’est la liberté, la fantaisie et une incroyable énergie. La période était paradoxale, entre le no future des punks, le sida qui est là et le désir de fête », se souvient la chanteuse, qui a publié « Mes années 80 de A à Z ». Selon elle, « l’explosion musicale qui a eu lieu, avec la chanson, le zouk, le reggae, la new wave, on la doit aux radios libres. Les médias ont changé à ce moment-là. D’avoir libéré les ondes, ça a permis de nous faire entendre ».
« Stranger Issues », triomphe à la mesure de la nostalgie collective
Le chorus lancinant « de toutes les matières… » se distille toujours sur les ondes de Nostalgie. La radio, qui passe les plus grands tubes des années 1960 à 1990, a gagné en un an 400 000 nouveaux auditeurs, selon les données de Médiamétrie. Elle cumule maintenant 6,2 % d’viewers d’avril à juin 2023. Ici, un auditeur sur trois a moins de 30 ans. La clé du succès ? Des tubes des années 1980 comme « Confidence pour confidence » de Jean Schultheis, « Voyage voyage » de Desireless ou encore « Partenaire particulier » du groupe du même nom. « Il n’y a pas une fête qui se déroule sans que soit diffusé un titre des années 1980. C’est vraiment un phénomène de fond, en parallèle de notre travail à la radio depuis quelques années », be aware Xavier Laissus Pasqualini, le directeur de l’antenne, dans Puremédias. Guillaume Aubert, animateur radio, renchérit : « À l’époque, on avait plus de libertés. On avait le droit d’allumer un briquet dans un live performance. Donc quand on écoute ces années-là, on se dit c’est la fête. »
Côté télévisuel, « Stranger Issues », qui se déroule dans les années 1980 et puise de manière plutôt crédible dans le model et l’esthétique des movies de cette époque, s’affirme comme l’une des séries les plus importantes de ces dernières années. Près de 14 hundreds of thousands de personnes l’auraient visionnée durant les premiers mois de sa sortie sur Netflix, en octobre 2017. Un triomphe à la mesure de la nostalgie collective pour la décennie 1980 et tout ce qu’elle a de fantastique et de paranormal. La série rappelle avec beaucoup de justesse, entre autres, la façon dont les ados grandissaient, en communiquant par talkie-walkie et en jouant à Donjons et Dragons. Un temps révolu, sans Web, smartphones et purposes de rencontre en ligne. Dans la garde-robe, des pièces militaires, tee-shirt de baseball et sweats oversize. Tout ce qui donne encore envie à de nombreux jeunes.
Plutôt cuir ou chemises à fleurs ?
« I Simply Can’t Get Sufficient », de Depeche Mode, résonne à fond dans la friperie de deux étages. Depuis son ouverture en 2021 dans le quartier cossu du Châtelet, à Paris, le magasin ne désemplit pas. Dans cet empire des vêtements de seconde predominant, les foulards colorés côtoient les blazers aux épaulettes marquées façon Thierry Mugler. Tout y est rangé par types. Blousons de cuir d’un côté, chemises à fleurs model Magnum de l’autre. Les shoppers, plutôt jeunes, s’affairent en route des cabines d’essayage. Lou, la vendeuse, regarde le va-et-vient everlasting, renseigne, donne son avis. « Beaucoup ne se retrouvent plus dans notre époque. Ils cherchent ce qui a été porté avant. Les années 1980 avaient quelque selected de plus coloré. On a sans doute besoin de retrouver cette joie-là », estime la jeune femme.
Comme tout ce qui marche, la mode des 80’s est devenue un redoutable enterprise. Rien que dans le quartier, on dénombre une dizaine de friperies. Pour Sahara, vendeuse à Kilo Store, ces années-là véhiculent un esprit de liberté qui séduit les jeunes. « Les gens avaient l’air plus ouverts. Ils osaient davantage », pense la jeune femme au look ajusté : bandana vert sur un pull vert fluo. Certaines pièces connaissent un succès jamais démenti. « On a plusieurs références, comme les blousons en cuir et les vestes en Nylon », commente Shane, vendeuse dans un autre Kilo Store à quelques pas de là. Debout derrière la caisse, elle se déhanche sur une musique rythmée par des synthés. Pour elle, la décennie symbolise le début d’une société de consommation qui s’ignore. « C’est la jeunesse de mes mother and father. Une période où les gens n’avaient pas encore conscience de leur affect sur l’environnement. »
Parce qu’elle voulait s’éloigner de la quick trend par souci écologique, Tara en est venue au classic et de facto, aux années 1980. Aujourd’hui, elle vient chiner un Levi’s d’époque. « Beaucoup de vêtements que ma mère portait, jeune sont en practice de revenir à la mode. » Elle hausse les épaules. « Le idea du classic devient un argument advertising. » Plus largement, la jeune femme se despatched nostalgique d’une époque qu’elle n’a pas connue mais où « on sentait que c’était plus authentique en termes d’expression de soi. Les movies, la musique, le model… Ce sont des éléments auxquels je m’identifie beaucoup plus qu’à la tradition populaire actuelle, que je trouve trop commerciale ».
La grande rupture avec les idéaux de Mai 68
Résolument plus libres et ouvertes, les années 1980 ? Dans son ouvrage « la Décennie. Le grand cauchemar des années 1980 » (la Découverte), le professeur à Sciences Po François Cusset offre une imaginative and prescient vitriolée à l’opposé. Il n’y va pas de predominant morte. À cette époque, affirme-t-il, « on a glissé de la révolution à l’État dit de droit, de l’anticapitalisme au libéralisme, de la sécession politique à la morale antiraciste, et des avant-gardes de la création au kitsch du tout culturel ». Les années 1980, c’est aussi et surtout, selon lui, la grande rupture avec les idéaux de Mai 68. « On est passé de la détestation des puissants à la ardour du pouvoir. »
C’est l’avènement de la télévision privée, de Jean-Marie Le Pen et du sida. Le 23 mars 1983, soit deux ans après l’accession au pouvoir de François Mitterrand, ce dernier opte pour la rigueur budgétaire et sociale. Fin du rêve socialiste. Pourtant, dans « ce consensus béat », François Cusset en est persuadé : il reste à écrire « une histoire invisible des années 1980, qui montrerait, derrière leur loi d’airain, qu’elles furent aussi le temps de l’esquive, des contre-mondes, du bricolage résistant ». Le temps d’une génération « qui n’apprit ni à faire la révolution ni à s’emparer du pouvoir mais, mieux qu’une autre, à savoir passer entre les gouttes – en tentant d’échapper au chômage, à la loi, au crétinisme médiatique, à toutes les injonctions nouvelles et, toujours, au sida ». Une première génération « sortez couvert », en quelque sorte. Loin des strass et des paillettes.