De nombreux électeurs sont prêts à accepter la désinformation des dirigeants politiques, même s’ils savent qu’elle est inexacte. Selon nos recherches, les électeurs reconnaissent souvent que les déclarations de leur parti ne sont pas fondées sur des preuves objectives. Pourtant, ils réagissent positivement s’ils estiment que ces déclarations inexactes évoquent une « vérité » plus profonde et plus importante.
Notre équipe a mené une série d’enquêtes en ligne de 2018 à 2023 auprès de plus de 3 900 électeurs américains. Ces enquêtes ont été conçues pour obtenir des réponses sur la façon dont ils évaluaient les déclarations politiques de plusieurs politiciens, même lorsqu’ils reconnaissaient que ces déclarations étaient factuellement inexactes.
Prenons l’exemple de l’ancien président Donald Trump qui affirme que l’élection de 2020 lui a été volée. Même parmi ses partisans qui ont reconnu que ses allégations de fraude n’étaient pas fondées sur des preuves objectives, nous avons constaté qu’ils étaient plus susceptibles de considérer ces allégations comme importantes pour les « priorités américaines » : par exemple, ils pensent que le système politique est illégitime et qu’il est contre leurs intérêts.
La même logique s’applique aux déclarations factuellement inexactes du président Joe Biden sur la vaccination contre la COVID-19, suggérant que les personnes vaccinées ne pouvaient pas propager la maladie. Dans nos sondages, les électeurs qui ont soutenu le président ont considéré cette déclaration comme importante pour les priorités américaines, même s’ils ont reconnu son inexactitude factuelle.
Grâce à ces questions, nous avons pu découvrir les critères qui guident le comportement des électeurs, en fonction de la personne qui fait telle ou telle déclaration. Les électeurs des deux partis se sont davantage attachés à la « vérité morale » lorsqu’ils ont évalué un homme politique qu’ils appréciaient. En revanche, lorsqu’ils ont évalué un homme politique qu’ils n’aimaient pas, les électeurs se sont davantage appuyés sur la stricte véracité des faits.
Nos enquêtes ont permis de documenter la manière dont les électeurs justifient leurs porte-étendards partisans, révélant un degré important de « flexibilité morale » dans le jugement politique des électeurs. J’ai mené cette recherche avec Oliver Hahl de l’Université Carnegie Mellon, Ethan Poskanzer de l’Université du Colorado et Ezra Zuckerman Sivan du MIT.
Pourquoi c’est important
Les débats sur la lutte contre la désinformation se concentrent souvent sur la nécessité d’améliorer la vérification des faits et l’éducation. Cependant, notre découverte illustre les facteurs plus profonds mais négligés qui se cachent derrière la tolérance et le soutien des électeurs aux déclarations factuellement inexactes. Les résultats suggèrent que la désinformation survit non seulement en raison de la « crédulité » des électeurs, mais aussi de leurs calculs moraux sur la question de savoir si les fins partisanes justifient les moyens.
Si les électeurs choisissent délibérément de soutenir la désinformation parce qu’elle correspond à leurs perspectives partisanes, alors apporter des corrections factuelles ne suffira pas à protéger la norme démocratique qui consiste à fonder les politiques publiques sur des faits objectifs.
Ce qui n’est toujours pas connu
Nos recherches soulèvent des questions cruciales sur la manière de lutter contre une telle flexibilité morale et ses conséquences.
Certes, nous ne considérons pas que cette flexibilité morale soit fondamentalement mauvaise. En tant que société, par exemple, nous avons tendance à penser que dire aux enfants que le Père Noël existe ne pose aucun problème, car cela protège certaines valeurs, comme l’innocence et l’imagination des enfants.
Mais lorsqu’il s’agit d’un débat public sur une question qui devrait être fondée sur des preuves objectives, la flexibilité morale limite la mesure dans laquelle les groupes partisans peuvent parvenir à un accord sur les faits, sans parler de la politique à en tirer.
Et ensuite ?
Qu’est-ce qui peut inciter les gens des bords opposés du spectre politique à coopérer les uns avec les autres, s’ils ne parviennent pas à s’entendre sur ce qui est factuellement correct ?
Il y a probablement plus de domaines dans lesquels les électeurs partisans sont d’accord entre eux que ne le suggère le récit de la « guerre culturelle » – et nous espérons en tirer des enseignements. Dans le cadre de travaux en cours avec le sociologue Sang Won Han, nous étudions les législateurs qui co-parrainent fréquemment des projets de loi avec des politiciens du parti opposé.
Les sociologues Daniel DellaPosta, Liam Essig et moi-même étudions également les facteurs qui contribuent à la polarisation des politiciens dans les situations où les électeurs de partis opposés partagent effectivement un consensus. Par exemple, une majorité d’électeurs démocrates et républicains sont favorables à la vérification des antécédents des personnes achetant des armes à feu, alors que les projets de loi en ce sens sont systématiquement rejetés.
Le Research Brief est un bref aperçu de travaux universitaires intéressants.