Un marathon doublé d’une course d’obstacles, avec un échec à l’arrivée. C’est peu dire que les négociations sur l’emploi des seniors, qui réunissaient syndicats et organisations patronales à la demande du gouvernement, ont viré au fiasco. Les « partenaires sociaux » se sont rencontrés, ce lundi 8 avril, pour un ultime round de discussions, lequel s’est finalement achevé à 2 h 30 du matin, mercredi, sur un constat de désaccord : les organisations patronales se sont contentées de revoir à la marge leur proposition de texte, braquant l’ensemble des syndicats.
Pour mémoire, le but des négociations était de réfléchir à un nouveau « pacte de la vie au travail », à la demande de l’exécutif, après avoir imposé la réforme des retraites, avec pour objectif d’améliorer (entre autres) le taux d’emploi des seniors (55-64 ans). En 2022, ce dernier atteignait 56,9 %, son plus haut niveau depuis 1975, mais encore environ six points en dessous de la moyenne de l’Union européenne.
En principe, les négociations devaient être bouclées au 26 mars, mais les organisations syndicales ont préféré retarder l’échéance, afin de digérer le volumineux projet d’accord envoyé par le Medef dans la dernière ligne droite, qui contenait un certain nombre de dispositions « clivantes ». « La discussion a tourné à la caricature, souffle l’un des participants, côté syndicats. Quand une phrase ne nous plaisait pas, les représentants du patronat faisaient semblant de la supprimer pour la rajouter trois lignes plus loin dans une nouvelle version du document. Et pour finir, ils nous ont reproché de ne pas aimer les petites entreprises ! »
Parmi les lignes rouges syndicales, figurait l’absence de mesures contraignant les entreprises à conserver les seniors dans l’entreprise. « Le gouvernement a fixé un objectif d’augmenter de 5 % par an le taux d’emploi des 60-64 ans, rappelle Nathalie Bazire, de la CGT. Pour notre part, nous pensons que l’atteinte de l’objectif doit passer par des négociations de branches obligatoires, assorties de sanctions financières représentant 1 % du chiffre d’affaires pour les entreprises ayant refusé de signer des accords. »
Des licenciements qui ne disent pas leurs noms
Autre point de blocage, la proposition patronale de réformer les reconversions professionnelles : à l’issue de la formation suivie par le salarié, ce dernier perdrait l’assurance d’être réintégré dans l’entreprise et pourrait même être considéré comme démissionnaire. Une manière de mettre un travailleur dehors sans la moindre indemnité… « C’était l’organisation programmée de licenciements en masse qui ne disent pas leur nom, dénonce Nathalie Bazire. Cette mesure pourrait conduire à ce que de nombreux salariés de plus de 50 ans se retrouvent dehors. »
Autre ligne rouge, le patronat a maintenu contre vents et marées son « CDI seniors », ripoliné en « contrat de valorisation de l’expérience » expérimental. Ouvert dès 57 ans, ce contrat pouvait être « rompu à l’initiative de l’employeur dans le cadre d’une procédure de mise à la retraite », dans laquelle le patron aurait été exonéré de la contribution patronale spécifique de 30 % sur l’indemnité versée.
« Le patronat ne voulait pas de cette négociation depuis le départ, il a essayé de la retourner dans son sens pour mieux l’évacuer », cingle Yvan Ricordeau, négociateur CFDT. En théorie, les participants doivent malgré tout soumettre le texte final à leurs organisations respectives, mais l’issue de cette consultation ne fait guère de doute. « L’avis que je vais faire passer à nos instances n’est pas favorable », assure Éric Courpotin (CFTC), tandis que Jean-François Foucard (CFE-CGC) a dit qu’il proposerait à son instance dirigeante « de ne pas signer cet accord ».
La prochaine rencontre annulée
Une chose est sûre : la rencontre qui devait se tenir à l’Unedic ce mercredi en cas d’accord, pour discuter de l’avenant de la dernière convention d’assurance-chômage, signée en novembre 2023 par trois syndicats (CFTC, CFDT, FO), est annulée. Il s’agissait de reculer les bornes d’âge (53 et 55 ans) au-delà desquelles la durée d’indemnisation chômage est plus longue.
En réalité, cette annulation ne change pas la donne, dans la mesure où l’exécutif avait déjà prévu de remettre sur la table une nouvelle réforme de l’assurance-chômage. Sur la forme, l’échec des négociations sur l’emploi des seniors arrive à point nommé pour le gouvernement. « Ils auront beau jeu de s’appuyer sur ce qui vient de se passer pour nous expliquer que nous ne sommes pas capables de nous entendre et qu’il leur faut donc reprendre la main », anticipe Denis Gravouil, membre du bureau confédéral de la CGT.