« La marche du siècle », « Sida : polémique sur le » traitement du lendemain « », « La télé ose les gays », « Anne Laure, l’après star académie ». Sur un chariot au sous-sol du Palais de Tokyo, les revues Homophonies, Gai Pied, Ex Aequo, Mensuelle de la visibilité lesbienne, Têtu + ou Illico retracent l’histoire d’une communauté minoritaire. Sur le mur d’en face, un tas de pancartes, dont l’usage lors de manifestations s’aperçoit par les contours parfois abîmés ou les tâches, témoignent de l’évolution des revendications et protestations des luttes LGBTQI+.
Un peu plus loin, de grandes bottes roses aux très hauts talons montrent la festivité. Portées en 2013, lors de l’Existrans (marche annuelle pour les droits des personnes trans depuis 1997), elles ont été récupérées par les Balayeuses archivistiques LGBT. À côté, une sorte de « mobile » de godes, harnais et fouets de Guillaume Dustan expose les plaisirs LGBT. Et ce n’est qu’une toute petite partie des 150 mètres linéaires d’archives physiques que trie, collecte et répertorie minutieusement les bénévoles du collectif culturel d’archives LGBTQI + Paris IDF au quotidien.
Loin de l’archive institutionnelle et poussiéreuse, le Centre d’archives LGBTQI +, crée en 2017 à l’initiative d’Act-Up Paris pour lutter contre la dépossession et la neutralisation politique des archives minoritaires, en appelle au corps dans cette exposition qui ouvre les archives à toustes. Entretien avec Hélène, bénévole du collectif d’archives LGBTQI + Paris IDF.
Pourquoi exposer des archives ? Est-ce symbolique de les rendre accessibles ici, dans un musée ?
Le principe de cette expo était de montrer le rapport à l’archive qu’on a au sein du centre d’archives LGBTQI + Paris IDF – qui est un centre d’archives autonome et communautaire -, un rapport le plus démocratique possible. De montrer aux gens qu’ils peuvent mettre les mains dans les archives, que ce n’est pas réservé aux archivistes, aux universitaires ou aux historiens, et qu’il y a des objets qu’ils peuvent toucher. On a un rapport corporel aux archives : ça déclenche des émotions, ça désacralise les objets, et en même temps ça permet de réinvestir le corps autrement.
On voulait aussi montrer aux gens que les archives, ce n’est pas que des papiers, mais qu’un centre d’archives communautaire peut archiver les objets, les vêtements, les enseignes de boutiques, les pancartes de manif, les objets que les gens abandonnent dans les rassemblements.
Dans l’expo il y a tous ces numéros de différentes revues LGBT que les gens peuvent feuilleter et photocopier. Et puis, il y a aussi cette plateforme d’archives orales qui est projetée. C’est quelque chose d’important dans l’archive communautaire, car la voix et la vidéo permettent un rapport émotionnel à l’archive : ça active des ressentis. On souhaite que les gens sortent de cette expo en se disant « non seulement j’ai accès aux archives, mais en plus je peux en faire moi-même, je peux prendre un micro et faire une archive orale avec ma grand-mère lesbienne », par exemple.
Les archives ont une grande importance pour la communauté LGBTQI + ?
Dans les communautés minoritaires, ça rassemble aussi les TDS, les personnes racisées, etc, les personnes ont souffert au cours de l’histoire d’une invisibilisation. On est donc face à des récits très peu présents, très peu accessibles et très peu racontés. Par exemple moi je suis devenue lesbienne, mais alors dans l’ignorance complète des lesbiennes avant moi, de leurs histoires, de notre histoire. Un centre d’archives minoritaires, c’est l’idée de conserver la mémoire, de transmettre les récits et toutes les luttes qu’ont dû conduire ces communautés, pour aussi pouvoir les utiliser dans nos propres luttes actuelles.
Les archives de lutte contre le VIH sont très intéressantes pour analyser comment les gens sont organisés, car il y a plein de façons de lutter qui ont été imaginées à partir de la lutte contre cette épidémie. Le but des archives c’est aussi de créer des liens entre les générations, les récits d’avant, pour ne pas avoir l’impression de réinventer la route en permanence. Les mots changent, les approches aussi, au fur et à mesure du temps, et c’est intéressant de voir comment les identités étaient décrites, quels mots étaient utilisés par le passé.
Aussi, la communauté LGBT n’était représentée dans les archives publiques que négativement, de façon criminalisante par les rapports de police. L’idée est de contrecarrer ça, de laisser des traces positives, de créer un écosystème de savoir qui perdure. C’est important aussi dans le climat actuel. Au centre d’archives LGBTQI + Paris IDF, on a une ligne directrice qui est d’assumer les contradictions, les paradoxes : on a des histoires et non pas une histoire.
Que l’archivage soit fait par les personnes concernées est aussi un enjeu primordial pour la communauté LGBTQI + ?
Dans la tradition des archives, il y a les quatre « C » : Communiquer, Classer, Conserver Collecter. Nous, au centre, on a ajouté un cinquième « C » qui est la Création. Le but est de créer des archives aujourd’hui pour les avoir demain, et aussi lorsqu’on fait face à une histoire à trous, d’imaginer les récits, se les approprier par le biais de la création. C’est important la question communautaire sur cette idée de création, car c’est aux personnes concernées de créer s’approprier les histoires communes.
Également, il y a toute cette culture du “placard”, lorsque l’homosexualité n’était pas acceptée il y a quelques années : les gens n’étaient pas « out » mais se reconnaissaient par plein de signaux assez cryptos. Si on n’est pas soi-même concerné par ces usages, on passe à côté du sens, des enjeux et on est aussi moins sensible aux histoires. Par exemple, au Centre d’archives on a des photos de conversations de mecs sur des Minitel. On a besoin d’avoir des avis, conseils de personnes qui ont utilisé des Minitel pour comprendre ces photos.
Et par ailleurs, on est une communauté qui a été invisibilisée : dans le répertoire de l’INA, il n’y avait pas le mot lesbien il y a encore quelques années. Comme on était criminalisées, il y a beaucoup de codes, de langages, d’imaginaires qui se sont développés en dehors de la culture majoritaire. C’est important que tout ça soit répertorié par les personnes concernées pour éviter un phénomène de récupération.
Avant de partir, une dernière chose…
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