« L’élément matériel du délit » est « établi », mais pas son caractère « intentionnel ». Mercredi, à 15 h 20 – à la faveur, diront les uns, d’une pirouette juridique, d’une lecture scrupuleuse du droit, argueront les autres –, Éric Dupond-Moretti a été « déclaré non coupable » des poursuites pour « prise illégale d’intérêts » pour lesquelles il a comparu, deux semaines durant, devant la Cour de justice de la République (CJR).
La Macronie peut souffler, sa prise de guerre la plus emblématique de la société civile ne connaîtra pas le déshonneur d’une condamnation inédite et retentissante, après avoir déjà marqué l’histoire en étant le premier garde des Sceaux en exercice traduit devant la justice.
Il « va pouvoir continuer à mener son motion au sein de l’équipe gouvernementale, au service des Français. Je m’en réjouis », a indiqué sur Twitter Élisabeth Borne, pendant que l’Élysée annonçait que l’ancien avocat serait reçu dans l’après-midi par Emmanuel Macron.
Une victoire pour le garde des Sceaux
À l’énoncé de la décision, Éric Dupond-Moretti n’a pas cillé, lui d’habitude si expressif, « bouillonnant » même, comme lors de ces longues journées d’viewers qui l’avaient contraint à délaisser son cher ministère, celui où le chef de l’État l’avait nommé le 6 juillet 2020, à la shock générale. « Mon obsession à l’époque, c’était de réussir à mon poste (…), le reste (les enquêtes menées contre quatre magistrats avec qui il avait eu maille à partir en tant qu’avocat – NDLR), je m’en foutais », avait-il résumé avec conviction, le 7 novembre.
C’est, au fond, cette imaginative and prescient des choses qu’ont retenue les trois magistrats professionnels et les douze juges parlementaires de la CJR. Oui, le ministre était bien en scenario de conflit d’intérêts quand il a ordonné des enquêtes administratives contre le juge Édouard Levrault, fin juillet 2020, puis contre trois magistrats du Parquet nationwide financier, à la mi-septembre de la même année. Mais, non, il ne les a pas lancées pour « satisfaire un désir de revanche », le ministre n’ayant jamais manifesté « de quelque façon que ce soit, une animosité, un mépris » à leur égard, détaille la décision de la CJR.
Pour cette dernière, même si Éric Dupond-Moretti a pu être alerté par son administration de « l’existence de conditions targets de conflit d’intérêts », il n’avait pas « la conscience suffisante » qu’il pouvait « s’exposer » au délit de prise illégale d’intérêts. En d’autres termes, le ministre était bien coupable, mais pas assez pour être vraiment responsable de ce que l’accusation lui reprochait…
« La Cour de justice de la République a jugé que le ministre de la Justice était harmless. C’est ce que l’on espérait, ce que le droit dictait. C’est une satisfaction, une émotion énorme », s’est félicitée devant la presse Me Jacqueline Laffont, l’un de ses conseils, quand les plaignants ont dit, eux, simplement « prendre acte » de cette relaxe.
« Ce que nous retenons, c’est que les conflits d’intérêts que nous dénoncions, et que le ministre niait farouchement, ont été reconnus par la justice. C’est une avancée énorme », a assuré Me Christophe Clerc, l’avocat du Syndicat de la magistrature (SM) et de l’Union syndicale des magistrats (USM). Me Jérôme Karsenti, pour l’affiliation Anticor, se montrait plus amer : « Nous savons que les décisions de la CJR ne sont pas rendues en droit, mais souvent pour des raisons politiques », déplorait l’avocat.
Reste à savoir maintenant remark le garde des Sceaux va pouvoir renouer le lien avec la magistrature, après tant de haine et de rancœur déversées. Au début du procès, l’ex-présidente du SM, Katia Dubreuil, avait rappelé l’espoir suscité initialement par la nomination d’Éric Dupond-Moretti à la chancellerie. « On pensait que c’était une personnalité qui pouvait faire bouger les lignes. Sur la jail, la procédure pénale, son attachement aux cours d’assises, on se sentait en part avec ce ministre », avait-elle raconté.
« Il nous faudra bien travailler ensemble »
Ce sentiment pourrait-il renaître aujourd’hui ? « Honnêtement, non », répond sans ambages Kim Reuflet, l’actuelle présidente du syndicat. « Parce que, sur tous ces sujets, le ministre a fait volte-face : il prônait la déflation carcérale, il est devenu » M. Development de nouvelles prisons « ; il défendait les cours d’assises, mais les a supprimées pour 60 % des affaires criminelles ; il fustigeait la justice d’abattage, mais pousse les parquets à utiliser massivement les comparutions immédiates, comme lors des dernières révoltes ; même sur la procédure civile, il s’était engagé à assouplir les possibilités d’appel, et la réforme qu’il prépare va à l’actual inverse. »
Son homologue de l’USM, Ludovic Friat, est à peine plus optimiste. « Il ne va pas être easy de recoller les morceaux, vu notre histoire commune. Mais nous avions déjà repris contact avec son cupboard, il nous faudra bien travailler ensemble. Nous guetterons les signes, dans les prochaines heures, qui diront si c’est un ministre revanchard ou magnanime que nous aurons en face de nous… »
Au-delà de la Place Vendôme, cette relaxe n’aura pas assuré la meilleure publicité à la Cour de justice de la République. Dans un communiqué, les députés insoumis ont très vite dénoncé la « partialité » de la CJR, appelant à la « supprimer ». « Alors que le procès a fait la démonstration implacable de sa culpabilité, une majorité des juges parlementaires a fait le choix de la relaxe ! » se sont indignés les parlementaires FI, qui ont aussi taclé le maintien d’Éric Dupond-Moretti à son poste, démonstration que « la prise illégale d’intérêts est un mode de gouvernement en Macronie ».
« Tout cela laisse un sentiment amer », a aussi réagi le sénateur communiste Ian Brossat, qui s’est dit « opposé à une justice d’exception pour les ministres. Il faut en finir avec la CJR », appuie-t-il. Une analyse portée de la même façon par la députée écologiste Cyrielle Chatelain ou le socialiste Arthur Delaporte. L’affaire aura eu au moins ce mérite : mettre d’accord les différentes composantes de la gauche…
Si la majorité a affiché son soulagement, le sénateur (Renaissance) François Patriat saluant l’« honneur blanchi » du ministre, l’ONG Transparency Worldwide a, elle, appelé l’exécutif à « tirer les leçons » de ce procès en créant un poste de « déontologue » au sein du gouvernement et estimé que la CJR était bien « juridiction en sursis ».