Dans ses articles de recherche et ses livres, comme What are the Olympics for ou NOlympics, Jules Boykoff décrit le déficit démocratique de ces méga événements, l’organisation de l’activisme anti-olympique ou les revendications des athlètes. En s’appuyant sur son analyse des précédents JO, il décrypte ceux de Paris 2024.
Vous êtes un ancien athlète, qu’est-ce qui vous a amené à voir l’autre face des Jeux Olympiques ? Essayez-vous d’être présent à tous les Jeux ?
Je suis allé aux JO de Vancouver, au Canada, en 2009, où j’ai commencé à étudier le militantisme anti-olympique. J’ai vu les paradoxes de ces événements, qui se disent populaires, au service d’une société apaisée, et se révèlent être de vraies machines à inégalités. À Vancouver, par exemple, les Jeux s’étaient tenus en partie sur des terres autochtones non cédées. J’ai aussi suivi ceux de Londres et de Rio, en m’intéressant aux préparatifs, et j’ai habité dans ces villes pendant les JO. Mais il y a certains endroits où je ne suis plus le bienvenu, étant donné ce que j’ai écrit. Pour Paris, j’ai commencé une pré-enquête dès le mois de décembre 2023, et c’est là que j’ai rencontré les associations et collectifs, comme Utopia 56 ou le Revers de la médaille.
Qu’est-ce qui vous a le plus frappé, ici à Paris ?
Les déplacements de personnes migrantes et sans-abri, comme ceux qui sont intervenus sous le pont de Stains, à Aubervilliers, où des centaines de personnes vivaient et ont été expulsées le 17 juillet. Depuis, il ne reste que des blocs de béton, censés les empêcher de revenir.
Quels sont les processus à l’œuvre dans chaque ville olympique ?
Les expulsions ont lieu à chaque fois. À Pékin, en 2008, plus d’un million et demi de personnes ont été contraintes de quitter leur domicile. À Tokyo, j’avais rencontré deux femmes qui avaient dû changer de maison deux fois, pour les Jeux de 1964 et de 2021 ! Autre constante : la sous-estimation des coûts des Jeux à la base. C’est systématique. La corruption, les pots-de-vin, les conflits d’intérêts sont aussi fréquents. Dans les villes ou les sites de compétition, l’espace public est militarisé, il a plus de policiers, de caméras de surveillance, etc. Dernier point : le « greenwashing », avec les sponsors, le supposé héritage des infrastructures, le bétonnage… Les Jeux Olympiques de Paris étaient censés émettre 55 % de gaz à effet de serre en moins que ceux de Londres, et la Seine devait être baignable. Mardi 30 juillet, ce n’était toujours pas le cas…
Dans d’autres pays, les JO ont-ils des conséquences durables ?
Oui, les armes utilisées ou les dispositifs déployés ne sont pas remis dans une boîte à la fin des Jeux. C’est le cas pour la surveillance par exemple : en 2021, à Tokyo, la reconnaissance faciale était prévue pour filtrer l’accès à des lieux clés des Jeux. Cela a permis au gouvernement de s’équiper de ces techniques. L’amélioration du réseau de transports à Rio, prévue depuis 2016, n’est toujours pas achevée, du fait de l’aggravation de la crise économique.
Est-ce que vous imaginez le sport d’une autre manière que celle-ci, très capitaliste ?
Je ne suis pas très optimiste… Ces méga événements sont l’occasion pour les dirigeants de favoriser leurs intérêts, et creusent les inégalités. Naomi Klein théorise le capitalisme de la catastrophe, et avance que le choc des pays marqués par une crise économique, un ouragan ou des attentats est exploité par des prédateurs capitalistes. Je pense que c’est le cas des JO, dont les préparatifs sont réalisés dans l’urgence, ignorant de nombreux principes démocratiques.
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