Personne ne l’attendait au pied de l’opéra Bastille, à la toute fin de cette manifestation parisienne pour les droits des femmes. Discrète, sans prévenir, Judith Godrèche s’est approchée du collectif #NousToutes, qui rendait un dernier « femmage » aux victimes de féminicides. 900 femmes assassinées sous les quinquennats Macron, incarnées par autant de personnes brandissant devant elles une pancarte au nom de chaque victime. L’actrice-réalisatrice, qui a relancé le #MeToocinéma, s’est soudain jointe à la chorale pour entamer le Chant des femmes, très émue. « J’espère que ma prise de parole aura un écho qui durera longtemps », a-t-elle répondu à quelques téléphones portables qui se tendaient devant elle. « Je suis une privilégiée » a-t-elle ajoutée, avant d’expliquer qu’elle comptait porter un projet en lien avec les 4000 personnes qui se sont confiées à elle par écrit, suite à son témoignage public accusant le réalisateur Benoît Jacquot de viol sur mineure lorsqu’elle avait 14 ans.
Si la plupart des jeunes filles qui l’ont entourée n’étaient pas nées à l’époque où la jeune Judith tournait des films avec ce réalisateur, toutes connaissent son visage. Toutes l’ont écouté à la cérémonie des César dire « Depuis quelque temps, je parle, je parle, mais je ne vous entends pas ». Elles étaient là, toutes autour d’elle, venant la saluer respectueusement, sans trop insister. « Judith, on te croit », scandaient d’autres manifestantes en haut des marches.
« Merci Judith », « Méfiez-vous des petites filles », « Les petites filles sont des punks » : les paroles de son discours ont influencé l’écriture de bien des pancartes ce 8 mars. Dans le cortège, défilait pour la deuxième année le collectif 50/50, aux côtés d’autres associations représentant le milieu du cinéma. « Notre cellule d’écoute dans le cinéma et l’audiovisuel a vu les appels augmenter de 70 % depuis que Judith Godrèche a parlé, signale Fanny De Casimacker, déléguée générale du collectif. Il y a aussi une prise de conscience dans la profession. Mais il faut qu’elle soit collective, qu’elle ne vienne pas uniquement des employeurs ou des femmes. On demande que tout le monde se forme à la prévention des violences, et pas seulement sur les tournages. Notre travail porte ses fruits. De plus en plus d’associations professionnelles nous demandent des outils comme les agents dernièrement. »
À quelques banderoles de là, des femmes migrantes, travailleuses sans-papiers, revendiquent à visage découvert le droit de vivre ici. « J’ai 43 ans et quatre enfants, raconte Annie. Je suis arrivée du Cameroun en 2019. J’avais obtenu des papiers l’année suivante mais on me les a retirés. Ma patronne m’a alors viré et frappée parce que je refusais de démissionner. J’ai été humiliée, violentée. Une femme seule avec enfants n’a pas à être menacée. » Elles sont une quinzaine à marcher ensemble, avec les associations Femmes de la terre, la Fasti, le CCFD, qui les soutiennent au quotidien.
Un peu en retrait, la sociologue Monique Pinçon-Charlot fait une pause. « Le 8 mars ça devrait être tous les jours ! On se réjouit aujourd’hui de la constitutionnalisation de l’IVG, mais en même temps on observe une dégradation sans précédent des services publics, des services de santé. On donne tout au privé, et le public est sans cesse attaqué. Avec son « en même temps », Macron perturbe nos cerveaux, nous déstabilise, ce qui empêche de nous unir. D’un côté l’IVG dans la constitution et de l’autre, le président parle de réarmement démographique… » A quelques mètres, le collectif « trans, pédés, gouines » des Inverti.e.s répond à sa manière aux injonctions présidentielles sur sa banderole : « Vive la lesbianisation démographique ! »
Même la présence du cortège Nous vivrons, encadré par un service d’ordre masculin menaçant et cagoulé, n’aura pas gâché la fête. Leurs manifestantes, dénonçant exclusivement des viols contre les femmes israéliennes par le Hamas le 7 octobre, s’insurgeaient contre « une journée internationale de violation des droits des femmes ». Elles ont été exfiltrées par la police à mi-parcours. Quelques heures plus tard, loin de ces provocations, les Guerrières de la Paix avaient donné rendez sur le parvis de l’Hôtel de ville, expliquant dans une tribune: « Nous, les femmes, nous ne pouvons pas consentir à la déshumanisation de nos soeurs d’où qu’elles viennent ».
Pour contrer le patriarcat, elles sont de plus en plus nombreuses à revendiquer la misandrie ou, tout simplement, l’homosexualité. « Quitte-le ! » affiche Sophie sur un dessin arc-en-ciel. La trentenaire en a eu marre de tout gérer seule, de la relation à la rupture. Elle a finalement trouvé la solution : sortir de l’hétérosexualité, s’éloigner de la « pensée straight » théorisée par Monique Wittig. « On ne nous apprend pas qu’il y a d’autres possibilités qu’être hétéro, explique Sophie. Dans mon cercle d’amies, nous sommes au moins cinq à avoir passé le pas récemment. On lit des livres féministes, on se conscientise. Je vais bientôt fêter mon gouine birthday ! »
Selon Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes : « nous sommes 100 000 personnes ce 8 mars à manifester à Paris ». Un succès indéniable ce vendredi, en semaine, pour la cinquantaine d’associations et de syndicats ayant prôné cette « grève féministe » pour défendre les femmes du monde entier, obtenir plus de moyens du gouvernement contre les violences, accéder à des salaires décents et s’opposer aux idées réactionnaires d’extrême droite.