« Il est important de montrer qu’on existe. Deux femmes ont le droit de se tenir la main dans la rue et d’être mères », lance joyeusement Pauline en portant sur son dos sa petite fille de cinq ans, couverte de paillettes. Main dans la main, cette trentenaire et sa compagne défilent fièrement dans les rues parisiennes sous l’ombre des drapeaux lesbiens gonflés par le vent. Elles célèbrent en famille la journée internationale de la visibilité lesbienne, ce 26 avril, place de la Nation. Par-dessus leurs rires, s’élèvent des chants. Une chorale entonne ces quelques mots : « Nous sommes mères lesbiennes, et mères célibataires – sans papa on le fera. »
Des centaines de femmes s’embrassent, s’enlacent et se retrouvent. « Je suis arrivée ce matin en bus depuis mon petit village Auvergnat pour rejoindre mes amies parisiennes, raconte Irètrne. À ma connaissance, je suis la seule lesbienne de mon patelin. Ici, on a la chance d’organiser des manifestations pour nous rendre visibles. Je me sens moins seule et plus forte. » L’an dernier, l’adolescente s’est fait harceler dans son lycée en raison de son orientation amoureuse : « Je n’ai jamais voulu cacher qui j’étais. Mais cette année-là, j’ai eu peur pour la vie. » Selon le dernier rapport de « SOS homophobie », plus de 12 % des cas de lgbtphobie sont lesbophobes. « Pour lutter contre cela, il faut cesser notre effacement médiatique. Nous devons montrer davantage de personnes LGBT au cinéma et à la télévision. Si mes grands-parents ont accepté mon homosexualité, c’est grâce à l’émission « Plus belle la vie ». Et mes parents ? Avec le merveilleux « Portrait de la jeune fille en feu » de Céline Sciamma », ajoute Irène.
Cette marche des fiertés se déroule dans un contexte de lutte contre la montée des idées d’extrême droite à travers le monde. En Italie, le droit des lesbiennes est en péril : dans le cadre des adoptions et des PMA, la deuxième mère n’est plus reconnue comme telle depuis mars 2024. Du côté de la Hongrie, le Parlement a adopté, le 18 mars, une loi interdisant la Budapest Pride, la plus grande manifestation en soutien aux droits LGBT + du pays. Au Royaume-Uni, la Cour suprême vient d’exclure en avril 2025 les femmes transgenres de la définition juridique du terme « femme ».
« Les droits que nous avons acquis au fil des années sont menacés », souffle une manifestante prénommée Maëlys, portant un drapeau lesbien en guise de cape. « Ce sont toujours les mêmes partis qui s’opposent à notre existence et nos libertés, poursuit-elle. Le mariage pour tous, la constitutionnalisation de l’IVG, les thérapies de conversions. La haine reste, et elle évolue. Aujourd’hui, les discours réactionnaires contre les personnes transgenres sont les mêmes que ceux contre les homosexuels il y a quelques années. » À ses côtés, son amie surenchérit : « Quand on voit le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, apporter son soutien au collectif identitaire Némésis, ce n’est pas anodin. Les idées fascisantes gangrènent progressivement notre société. Inquiétons-nous pour notre avenir, nous ne voulons pas d’un gouvernement, ou d’un président d’extrême droite. »
Pour Henri Chassagne, secrétaire fédéral du Mouvement des jeunes communistes de France (MJCF) dans le 94, s’organiser politiquement face au climat réactionnaire est primordial. « Les combats LGBT sont politiques et pourtant, ils ne sont pas suffisamment pris à bras-le-corps par la classe politique, de droite comme de gauche. » Selon le jeune communiste, la lutte passe aussi par l’éducation. Le MJCF milite depuis des mois pour l’application du programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars) dans les établissements scolaires. Parmi les points principaux enseignés, se trouvent l’égalité et la prévention aux discriminations, notamment en raison de sa couleur de peau ou de son orientation. « Une vague réactionnaire souhaite que ce programme ne voie pas le jour. Mais cet enseignement est important : si nous voulons abattre les discriminations et faire en sorte que notre société soit féministe, il faut s’en donner les moyens », affirme Henri Chassagne.
À propos de moyens, Hélène Bidard avance une solution. Sur Instagram, la maire adjointe à Paris pour l’égalité femmes-hommes et responsable au PCF demande 3 milliards d’euros à l’État en faveur de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, l’égalité salariale et professionnelle, la fin des contrats précaires pour les femmes, mais aussi pour l’augmentation des hébergements publics et des centres d’accueil à destination des jeunes femmes victimes de violences et particulièrement des lesbiennes. Ces dernières « subissent aussi des attaques contre les droits des femmes, il faut donc lutter avec les lesbiennes pour leurs droits et pour leur visibilité », affirme Hélène Bidard.
Un collectif de musiciens fait résonner des percussions. La foule danse au rythme des tambours. Aida tape dans ses mains, pancarte sous le coude. « Migrante, lesbienne et fière », est-il marqué en lettres capitales. « C’est ma première manifestation. Je suis heureuse, l’ambiance est festive », explique-t-elle. Depuis quelques mois, cette femme de quarante ans a rejoint la MIF (Militant.e.s pour l’Interdiction des Frontières), une association qui accompagne les personnes migrantes dans leurs démarches de régularisation. « Les personnes migrantes subissent encore plus de lesbophobie, explique une manifestante souhaitant rester anonyme. Surtout lorsqu’on est noires : en tant qu’ « afroqueer », nous prenons de plein fouet des attaques contre nos orientations mais aussi contre notre couleur de peau car beaucoup pensent que les causes LGBT sont réservées aux personnes blanches. Mais c’est faux ! » Pour cette militante du collectif marxiste et révolutionnaire des Inverti.e.s, le « L » de LGBT est désormais synonyme de « lutte ».