Peu après le 13 novembre 2015, choqué par l’instauration de l’état d’urgence et les applaudissements unanimes des parlementaires à la proposition de « déchéance de nationalité » faite par François Hollande, Joseph Paris décide de documenter cette séquence politique.
Caméra au poing, il écume les manifestations de protestation à la répression qui s’abat, en premier lieu, sur les personnes d’apparence musulmane. « Sur les 3 500 perquisitions effectuées dans les premières semaines de l’état d’urgence, on a relevé moins de 1 % d’affaires relevant de près ou de loin – et souvent de loin – du terrorisme. C’était une espèce de vengeance d’État contre une catégorie de population », analyse le cinéaste.
« L’État d’urgence permet de réduire les libertés de tous les citoyens »
C’est rue de Ménilmontant, à Paris, lors d’un rassemblement contre l’État d’urgence, début 2016, qu’il croise pour la première fois Yasser Louati, militant des droits humains. « Aujourd’hui, ce sont les musulmans qui sont ciblés, mais demain, ce seront les associations, les syndicats, car l’état d’urgence permet de réduire les libertés de tous les citoyens ! » clame celui-ci, s’adressant à la foule.
Un discours (prémonitoire) qui tape dans l’oreille du réalisateur. « Il a commencé à me filmer à l’insu de mon plein gré, puis il m’a collé aux basques pendant sept ans », plaisante Yasser. Aujourd’hui, grâce au documentaire le Repli, sorti en salle le 30 octobre, les deux hommes ont forgé une solide amitié. « On aurait pu rester chacun dans son couloir de nage », remarque Yasser, pourtant plus familier des salles de boxe que des piscines.
Né à Paris de parents issus de l’immigration maghrébine, il a réalisé un rêve de gosse : devenir pilote de ligne. Formé aux États-Unis, il a vécu et travaillé dans sept pays, avant de revenir en France pour se rapprocher de sa famille, il y a une dizaine d’années.
Quant à Joseph, il est arrivé au cinéma via une école d’acteurs, où il a découvert la réalisation. « J’avais des amis à l’École des beaux-arts, cela m’a permis d’approcher le cinéma expérimental, et j’ai découvert une liberté qui m’a beaucoup plu », explique celui dont le premier documentaire était consacré aux Femen et à la dimension artistique de leur engagement.
Décortiquer le repli identitaire français
L’artiste et le militant ont donc allié leurs talents au service d’un film mêlant intime et politique. Propos ciselés en voix off disséquant les discours médiatiques et politiques, analyses d’universitaires, séquences tournées en noir et blanc à Paris et à Nice, archives en couleurs, photos retravaillées graphiquement dans d’étonnants et éloquents montages, et même des dessins à l’encre de Chine sont mobilisés pour décortiquer le repli identitaire français.
Un phénomène que le réalisateur fait remonter aux années quatre-vingt. Les ouvriers de l’automobile, principalement issus de l’immigration, se mettent en grève pour exiger des augmentations de salaires. Soutenus par la CGT, ils pensent l’être aussi par la gauche mitterrandienne fraîchement arrivée au pouvoir.
Mais, comme le montrent les images, rares, exhumées par Joseph Paris et analysées par le sociologue Vincent Gay, ils sont réprimés, criminalisés et accusés par le ministre du Travail de l’époque d’être sous l’influence de sorciers et d’appeler à la guerre sainte. « En inventant de toutes pièces un ”problème musulman”, on a ainsi pu se débarrasser des immigrés devenus gênants. Et surtout, le racisme a pris le masque de la lutte contre la religion, ce qui est plus acceptable pour des gens de gauche », tacle le réalisateur, dont le film décrit avec précision la manière dont le concept de laïcité n’a eu de cesse d’être dévoyé.
Après l’attentat de Nice, en juillet 2016, Yasser et Joseph se rendent sur place. Une épreuve : « Un tiers des victimes étaient musulmanes, considérées comme coupables de cet acte terroriste, des familles endeuillées ont été insultées », déplore Yasser. Un peu plus tard à Nuit debout, il a ces mots, place de la République : « Comment cela se fait-il que les terroristes nous ont vus comme un ensemble, mais que nous, on a commencé à se repousser l’un, l’autre ? Pourquoi la France refuse de se voir comme un ”nous” avec ses enfants de toutes les couleurs de peau, de toutes les religions et origines sociales ? »
La réponse fait froid dans le dos : « Dans le film, j’évoque la ”théorie de la zone grise”, explique Joseph Paris. Il s’agit d’un texte théorique publié par Daech, médiatisé par WikiLeaks, qui définit l’objectif des attentats : provoquer une réaction sécuritaire en France contre les musulmans pour les forcer à choisir leur camp. Soit ils restent dans le camp des ”traîtres” (et seront visés), soit ils rejoignent le califat. Non seulement l’état d’urgence n’a pas empêché l’attentat de Nice, mais on a donné aux terroristes exactement ce qu’ils voulaient ! » C’est pourquoi le Repli résonne comme une alerte contre les atteintes à l’État de droit, mais surtout comme un plaidoyer pour l’égalité républicaine.
Le Repli, documentaire de Joseph Paris, en salles depuis le 30 octobre.
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