Don’t Nod prétend faire du « divertissement engagé », le studio de jeux vidéo a même récemment déposé la marque « Meaningfull Entertainment », mais les salariés ont bien du mal à retrouver l’entreprise qu’il leur tenait tant à cœur. Beaucoup d’entre eux devraient se mettre en grève d’ailleurs ce vendredi, après une première journée de mobilisation lundi 28 octobre, qui a vu un tiers des travailleurs débrayer.
Ils protestent contre un plan social touchant 69 personnes, soit près de 30 % des effectifs. « On l’avait un peu vu venir, le lendemain de l’annonce de la démission du DRH, on a été convoqués à une réunion extraordinaire du CSE avec pour objet : l’avenir de la société », raconte Oscar*, élu du syndicat des travailleurs du jeu vidéo (STJV). Et peu avant le DRH, le directeur adjoint, deux directeurs créatifs ou encore le directeur narratif avait plié bagage.
L’ampleur du plan de licenciement en revanche a étonné tout le monde. « C’est terrible pour ceux qui vont devoir partir : il y a trois fois moins d’offres d’emploi dans le secteur que ces dernières années, beaucoup vont devoir se reconvertir », soupire Alain*, salarié de Don’t Nod. « Mais c’est rude aussi pour ceux qui restent, la direction veut finir tous les projets commencés, alors que toutes les équipes soufrent déjà de sous-effectif » poursuit-il. Les élus du personnel se plaignent beaucoup de l’opacité de la direction : sans chiffre de ventes, difficile pour eux d’avoir une vision de la santé économique de la boîte.
« Quatre réorganisations en deux ans »
Au tournant du Covid, c’était visiblement Byzance. Don’t Nod avait même ouvert un studio-fille à Montréal, l’entreprise commençait à auto-éditer ses jeux et avait lancé 6 projets en interne, 3 en externe… « Mais depuis deux ans, on a subi quatre réorganisations internes, je dirais même des restructurations », déplore Jérémy*, un autre salarié. Et petit à petit la confiance en la direction s’est érodée.
« Nos jeux ont très bonne presse, de bonnes évaluations des joueurs, mais ne se vendent pas, alors on commence à se demander si ce n’est pas la direction qui ne les vend pas comme il faut », poursuit le militant STJV. Et cette défiance se généralise dans les équipes assignées à la production. « Le patron assure qu’on joue notre survie sur les prochains jeux, mais licencie dans les effectifs au milieu des développements, mettant les projets en danger : les collègues voient bien que ça ne tient pas la route », pointe Oscar.
Et à mesure que la cote de confiance de la direction baisse, celle de l’unique syndicat chez Don’t Nod augmente. La création d’une section du STJV n’avait pourtant pas fait l’unanimité, le syndicat étant alors présenté comme un antagoniste. Comme les élus n’ont plus le droit d’envoyer des mails, les communications syndicales se voient réduites à un panneau d’affichage, dans une société majoritairement en télétravail.
Les salariés n’ont pour s’informer que la parole de la direction. Mais la situation change. « On a commencé à s’organiser en ligne, créer des canaux de discussions, jouer ensemble… Et de plus en plus, les collègues se reconnaissent dans nos communiqués, tous ont été touchés par les réorganisations, le manque d’effectifs… Ils voient qu’on se bouge pour eux, qu’on demande des comptes », affirme Oscar.
C’était difficile aussi de s’opposer à une direction d’entreprise réputée « pas comme les autres ». Elle répète à loisir qu’Alain Damasio en est le co-fondateur, même si voilà bien des années qu’il n’a plus de rapport avec Don’t Nod. À sa création, le studio jouissait socialement d’une bonne réputation, privilégiait les CDI, facilitait le télétravail, même si les salaires n’ont jamais été élevés.
Don’t Nod est aussi connu pour les messages progressistes véhiculés dans ses jeux, qui se veulent plus profonds, narratifs et bien moins tourné vers l’action que la majorité du marché. « Sa bonne image, Don’t Nod la doit aux jeux que nous créons, nous, les employés, » corrige François*. « Ce n’est plus du tout la direction qui pousse vers ça, d’ailleurs, une de nos nouvelles dirigeantes a pris publiquement des positions proches de l’extrême droite. On a aussi entendu qu’elle voulait remplacer des postes artistiques par de l’IA » déplore encore le salarié.
* Tous les prénoms ont été changés.
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