À 65 ans, madame V., titulaire d’une licence en lettres et forte d’une longue expérience professionnelle dans le privé, décide de se reconvertir pour travailler dans la fonction publique nationale. Elle se présente, puis est admise au concours externe d’inspecteur du travail de l’année 2023.
Seulement voilà : la titularisation est conditionnée par la promesse d’effectuer au moins cinq années au service de l’État et, ayant soufflé sa 66e bougie en janvier, elle ne sera pas en situation de tenir sa promesse avant d’avoir atteint 70 ans, âge limite au-delà duquel la retraite est imposée. Résultat : le ministère du Travail lui indique, par un courriel du 24 janvier 2024, qu’il est décidé de ne point la nommer inspectrice.
C’est mal connaître madame V., qui connaît ses droits et un bon avocat, qui, lui, connaît le principe de non-discrimination. Car enfin, n’est-ce pas en raison de son âge qu’un tel sort lui est réservé ? Et l’âge n’est-il pas un critère de sélection prohibé par la loi ? D’autant plus que, privée de cette perspective, madame V. se trouve dans de beaux draps : éligible ni aux allocations-chômage, ni au RSA…
Tout juste pourra-t-elle bénéficier du minimum vieillesse. Merci, Macron ! Il est vrai que, historiquement, la fonction publique a beaucoup rechigné à intégrer des seniors dans ses rangs. Car, l’organisation des concours et la formation des agents coûtent cher, alors, vous comprenez, autant les prendre plus jeunes, ils serviront plus longtemps…
Depuis une ordonnance de 2005, les conditions d’âge pour le recrutement des fonctionnaires ont pourtant été supprimées. Enfin, pas toutes : restaient encore certaines limites maximales, comme pour les gendarmes ou les pompiers, justifiées par des aptitudes physiques rendues nécessaires par les fonctions à occuper. Mais, malgré cette suppression formelle, des pratiques illicites ont longtemps perduré – au CNRS, par exemple, lequel s’est fait condamner pour discrimination à raison de l’âge par un arrêt retentissant du Conseil d’État en juillet 2010.
Mais qui eût cru que, même au ministère du Travail, on pût discriminer ? C’est pourtant une hypothèse tout à fait crédible pour le tribunal administratif de Lyon, qui, saisi de l’affaire en référé (procédure d’urgence), a décidé, le 5 mars 2024, de suspendre l’exécution de la décision du 14 janvier et d’enjoindre à la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités (!) de réintégrer provisoirement madame V. en qualité d’élève-inspectrice du travail. Catherine Vautrin, fraîchement nommée à l’hôtel du Châtelet, pourrait peut-être imposer à ses agents une petite formation… en droit du travail !
Décision commentée : TA Lyon, ordonnance du 5 mars 2024, n° 2401609. Avocat plaidant : Joao Viegas, avocat au barreau de Paris