Rumilly (Haute-Savoie), envoyée spéciale.
Entre le lac d’Annecy et celui du Bourget, les facteurs de la poste de Rumilly poursuivent leur combat. Les postiers étaient en grève, six jours consécutifs, du 12 au 17 décembre, dénonçant la dégradation de leurs conditions de travail.
Depuis, ils ont repris leur poste pour ne pas amputer davantage leurs salaires, mais leurs revendications demeurent : entre un sous-effectif permanent, des heures supplémentaires non payées, des salaires miséreux et la pression de la direction, les travailleurs dénoncent un « manque de considération ».
Des portes de voitures qui s’ouvrent dans les virages
Sous un froid mordant, Christian Garrette, arpente les rues étroites de sa tournée. Soit 633 boîtes aux lettres réparties au long de 80 kilomètres afin de servir les 1 800 habitants des trois communes dont il est chargé. Manteau floqué La Poste, écharpe et bonnet chaud sont le strict nécessaire pour accomplir sa mission quotidienne.
Au volant de son Berlingo jaune, il dévale vallée après vallée, se gare sur le bas-côté et trottine jusqu’aux boîtes : « On n’a pas le temps de boucler notre ceinture, chaque seconde est comptée. La Poste nous dit de la mettre durant les haut-le-pied, c’est-à-dire du centre de distribution à la première boîte aux lettres et de la dernière au centre. »
Pas de ceinture donc, et pas de porte de véhicule fiable côté conducteur non plus. « Elle s’ouvre souvent dans les virages, il faut que je pense à la tenir », précise le délégué syndical CGT Fapt 74, de manière anodine.
L’intelligence artificielle pour évaluer les salariés
Les multiples revendications des plus de 30 postiers de Rumilly découlent toutes d’un problème de sous-effectif. Et c’est le cas partout en France. Près de 78 000 emplois ont été supprimés à La Poste depuis 2013, selon la CGT Fapt. D’après une factrice souhaitant rester anonyme, « le nouveau système d’évaluation de la charge de travail fait par des robots est d’une énorme hypocrisie ». En effet, pour organiser la charge de travail et ajuster son nombre d’employés, la société organise des évaluations tous les deux ans avec une intelligence artificielle.
Elle fait calculer à l’IA le temps d’une tournée avec un barème précis. « Ça n’a aucun sens, le robot compte 1 minute 30 pour un colis contre signature, mais ça, c’est dans le meilleur des cas, s’insurge le délégué CGT, il ne prend pas non plus en compte la circulation aux heures de pointe. »
Voilà pourquoi les postiers « se sentiraient dans l’obligation de faire des heures supplémentaires, poursuit Christian Garrette, que La Poste ne payent quasiment jamais » ! Les agents devraient finir à 14 heures 15 leur journée de travail, mais le cégétiste Fapt 74 affirme terminer souvent entre 16 heures et 16 heures 30. « En 2018, les prud’hommes les ont condamnés à me payer 600 heures sup », martèle-t-il.
La direction se justifie avec la baisse du nombre de lettres
Depuis le piquet de grève, les facteurs du centre de Rumilly se sont engagés à ne plus effectuer d’heures supplémentaires, accumulant les retards de livraison dans l’objectif commun de faire réagir la direction. Christian Garrette laisse parfois la moitié de ses « caisses » (rangement du courrier) au lendemain, priorisant les colis.
À cela s’ajoute la « pression de la direction » et le « manque de considération » de cette dernière, d’après les agents rumillinens. Celle-ci sous-entendrait que la charge de travail donnée aux salariés est réalisable sur leur tranche horaire, s’appuyant sur le rapport de l’IA.
Contactée, la direction n’a pas souhaité répondre à nos questions mais a tenu à préciser qu’en ce qui concerne les effectifs, « depuis le début de l’année, la plateforme de Rumilly a recruté 8 personnes en CDI et 4 agents sont actuellement en renfort pour la « peak period » (période de forte activité colis au moment des fêtes de Noël). La Poste tient également à rappeler qu’elle reste confrontée à une nécessaire adaptation de ses effectifs face à la baisse drastique des volumes de lettres à distribuer. Ainsi, sur l’année 2024 (non achevée), ce sont quelque 350 000 lettres en moins à distribuer par les 40 agents du site de Rumilly ».
« Ils sont toujours en train de nous culpabiliser »
Face à cet écrit, les facteurs rient jaune. « Les huit personnes en CDI, c’est uniquement du remplacement, pas d’ouverture de poste, affirme Christian Garrette, les quatre agents renfort, on n’en a jamais vu la couleur, s’agace-t-il, et puis on n’a jamais nié qu’il y avait moins de courrier. Mais il y a beaucoup plus de colis depuis le Covid. »
« Ils sont toujours en train de nous culpabiliser, s’émeut une factrice, j’en suis venue à me demander si je n’étais pas trop vieille. » Chaque revendication recèle sa confidence, sous condition d’anonymat.
« C’est la frustration de ne pas pouvoir faire correctement ce travail que j’aime, ils sont en train de m’en dégoûter », affirme un collègue. « On est fatigués de ne pas être écoutés et considérés », répond une autre. « Le pire, c’est quand ils sont venus sur le piquet de grève pour nous dire « penser à ses petits enfants qui n’auront pas leurs cadeaux pour Noël » », s’énerve une troisième.
Aux côtés de celles et ceux qui luttent !
L’urgence sociale, c’est chaque jour la priorité de l’Humanité.
En exposant la violence patronale.
En montrant ce que vivent celles et ceux qui travaillent et ceux qui aspirent à le faire.
En donnant des clés de compréhension et des outils aux salarié.es pour se défendre contre les politiques ultralibérales qui dégradent leur qualité de vie.
Vous connaissez d’autres médias qui font ça ? Soutenez-nous !Je veux en savoir plus.