Une audience pénale peut parfois se transformer en un saisissant bouillon de culture. Ce mercredi 19 février, au procès des soupçons de financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, il a tour à tour été question des tableaux du peintre flamand du XVIIe siècle Andries Van Eervelt, d’une vidéo de 2007 montrant le chef de l’État accueilli par des officiels libyens et d’un enregistrement sonore, transmis par un mystérieux informateur à la défense il y a tout juste un mois.
Deux toiles vendues dix fois leur estimation
En l’absence, pour le début de l’audience, de Nicolas Sarkozy, le tribunal s’est d’abord intéressé à ces deux petites « marines » (de 20 cm sur 36), que le couple Guéant aurait acquises au début des années 1990 au Louvre des Antiquaires.
Pour l’ancien bras droit du futur chef de l’État, c’est la vente de ces deux toiles, par l’intermédiaire d’un avocat d’affaires malaisien, Sivajothi Rajendram, qui explique le virement de 500 000 euros reçu sur son compte le 3 mars 2008, une somme qui servira à l’achat, deux semaines plus tard, comptant, de son appartement de la rue Weber, dans le 16e arrondissement de Paris.
Pour l’accusation, cette vente de tableaux est en réalité fictive, et servirait à couvrir le versement de fonds libyens, dont l’instruction a démontré qu’ils étaient arrivés en Malaisie via le compte d’un richissime Saoudien, Khalid Bugshan, qui n’avait jamais vu ces tableaux ni rencontré Claude Guéant de sa vie.
De fait, les deux huiles sur toile sont entourées de pas mal de mystères. Leur ex-propriétaire ne se souvient pas combien, ni à quel antiquaire il les avait achetés. Estimés au mieux entre 35 000 et 50 000 euros, ils auraient donc été revendus dix fois plus… « Je ne connaissais pas l’acheteur, mon seul contact, c’était Rajendram. Il a dû penser que c’était un bon investissement, voilà. C’est l’acheteur qui fait les prix », a justifié Claude Guéant. La présidente Nathalie Gavarino lui fait remarquer que les tableaux n’ont jamais été assurés – « j’habitais dans des lieux sécurisés », répond le prévenu – ni leur vente déclarée au fisc – « ça ne modifiait pas mon patrimoine », assure-t-il, avant de lâcher : « Je ne suis pas un spécialiste des impôts ».
Les magistrats du parquet national financier ont-ils esquissé un sourire, à ce moment de l’audience ? « Pour nous, cette vente est un montage », ont-ils asséné, pointant « ce RIB de M.Guéant trouvé dans le coffre-fort d’Alexandre Djouhri », cet homme d’affaires franco-algérien proche de Béchir Saleh, le responsable du fonds souverain libyen et de ses 5 milliards d’euros.
« Le RIB ; les 500 000 euros remboursés en 2010 par Alexandre Djouhri à Khalid Bugshan… Vous ne trouvez pas que ça fait beaucoup de coïncidences ? » interroge le procureur. « C’est vous qui en faites des coïncidences. Et les coïncidences ne sont pas des preuves », cingle Claude Guéant, poursuivi dans ce volet de l’affaire pour « faux et usage de faux » et « blanchiment de fraude fiscale ».
« ”Vous le connaissez”, ça peut être interrogatif aussi »
Après les tableaux, c’est une vidéo qui a retenu l’attention du tribunal, ce mercredi. On y voit Nicolas Sarkozy descendant de son avion aux couleurs de la République française, et saluant des officiels libyens, le 25 juillet 2007, au lendemain de la libération des infirmières bulgares.
Déjà évoquée lors de l’audience, la vidéo est revenue au cœur des débats à la demande de parties civiles, qui, en écoutant ce document au casque, ont entendu le responsable du protocole présenter Béchir Saleh à Nicolas Sarkozy, en ajoutant ces mots « vous le connaissez ». Sur les images, on voit d’ailleurs le président, tout sourire, donner l’accolade et tapoter l’épaule du directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi. Alors qu’il est censé ne jamais l’avoir rencontré.
« Ce ‘‘vous le connaissez’’, ça pouvait être interrogatif aussi. On m’avait dit le rôle qu’il avait joué pour la libération des infirmières, il venait de passer deux jours avec ma femme sur ce sujet, était un des rares à parler français… Je lui adresse une accolade, c’est vrai, mais après je lui tourne le dos, je ne lui demande pas des nouvelles de sa femme, de ses enfants ou ce qu’il a mangé la veille ! » s’enflamme Nicolas Sarkozy à la barre.
L’ancien président est interrogé dans la foulée sur ce « nouveau document » versé lundi par ses conseils au tribunal. Un enregistrement, reçu d’un émissaire anonyme via une boîte mail cryptée, qui serait celui d’une conversation entre Nicolas Sarkozy et le dictateur libyen, portant sur la place de l’Afrique à l’ONU. « Cet audio m’a troublé, comme les conditions de sa remise », reconnaît-il d’abord. Avant de se faire moins prudent : « Il prouve que des enregistrements existent (des conversations de Mouammar Kadhafi – NDLR), que des gens y ont accès et que s’il y en avait des compromettants pour moi, ils seraient sortis depuis longtemps ». « Il n’y avait pas d’autre chose à faire que de le remettre au tribunal », ajoute-t-il.
« Un fichier à la valeur nulle, dont l’authenticité ne pourra être démontrée »
Ce qu’ont fait ses conseils, mais sans se presser (ils ont attendu un mois pour le faire), et en assortissant cette transmission d’une demande d’expertise destinée à s’assurer que ce document n’était pas « un faux ». Une requête qui n’a convaincu ni les représentants du parquet, ni les parties civiles.
Aucune expertise ne pourra permettre d’authentifier le document, soulignent les premiers, qui ajoutent : « Il existe un risque majeur et évident de manipulation du tribunal. Ce mystérieux Samaritain dit avoir d’autres pièces, mais on ne sait rien sur lui. Peut-on relancer des investigations sur la base d’un fichier à la valeur nulle, dont l’authenticité ne pourra pas être démontrée, et qui a été l’objet d’une mise en scène délibérée de la part de la défense ? » Comme on dit, la réponse est dans la question. Avocat de l’association anticorruption Sherpa, Me Vincent Brengarth y voit « une manœuvre de la dernière chance » de la part de la défense de Nicolas Sarkozy.
Le tribunal se prononcera jeudi 20 février, à 13 h 30, pour décider du sort de cet enregistrement.
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