Jérusalem Ouest (Israël), envoyé spécial.
Un colosse de béton et de verre, conçu pour être le symbole de la force et de la solidité de la nation, coupe l’horizon au cœur de Jérusalem Ouest. Binyanei Hauma, le principal palais des congrès de la ville habituellement utilisé pour le concours de Miss Israël ou des concerts, n’a pas des allures de machine à laver.
Pourtant, c’est bien ici qu’à l’invitation du gouvernement de Benyamin Netanyahou, les extrêmes droites du monde entier se sont donné rendez-vous pour se blanchir, à l’occasion d’une « conférence internationale de la lutte contre l’antisémitisme », en réalité lieu de convergence des islamophobes de tous pays. Un événement pensé comme une démonstration de puissance et l’occasion d’entériner de nouvelles alliances.
S’y sont croisés – entre autres – le Fidesz hongrois, les Démocrates de Suède, le Vox espagnol, l’ex-ambassadeur américain David Friedman, favorable à la colonisation des territoires palestiniens… Mais aussi le Rassemblement national, désireux de faire sauter ce qu’il considère comme le principal verrou de son accession au pouvoir : l’antisémitisme qui colle aux basques du parti depuis sa création par d’anciens Waffen SS et pétainistes. L’Humanité n’a pu passer les murs de Binyanei Hauma, doublement blacklistée par le gouvernement israélien et le RN pour éviter tout contre-récit (lire encadré).
Le RN, nid d’antisémites
En fin de journée jeudi, le président de la formation lepéniste, Jordan Bardella, est monté à la tribune avec la gourmandise de celui qui réalise le casse du siècle : transformer sa haine des musulmans en défense des citoyens juifs. Il appelle cela le combat « de la civilisation contre la barbarie ».
« En France et en Europe, nous assistons à la lune de miel mortelle entre l’islamisme et la gauche extrême. L’un fournit les fanatiques ; l’autre institutionnalise le mal, fournit l’excuse de victimisation et l’apparence de la bonne conscience », a-t-il lancé devant l’internationale brune. En Israël, le RN est venu chercher l’absolution, ultime étape de sa dédiabolisation. Sur le papier, ce mariage aurait dû rester de la science-fiction.
Comment imaginer, main dans la main, le gouvernement d’un État né après la Shoah et les responsables d’un parti qui rendait, début janvier encore, un hommage à Jean-Marie Le Pen, condamné pour antisémitisme et négationnisme ? Ce qui cimente les extrêmes droites par-delà les océans, « c’est la croyance que l’Europe est dans une phase de décadence civilisationnelle à cause de l’islam, de la gauche et du wokisme », explique Jean-Yves Camus, politologue spécialiste des nationalismes.
Un plan de com rodé
Les autorités israéliennes n’ont donc eu aucun mal à effacer l’ardoise de l’extrême droite française. Jordan Bardella, président du parti à la flamme qui qualifie de « visionnaire » le fondateur du mouvement ; Marion Maréchal, petite-fille Le Pen et dont le principal conseiller, Philippe Vardon, est notamment connu pour apparaître sur une vidéo où il chante la Zyklon Army d’un groupe néonazi ; ou encore Louis Aliot, maire RN de Perpignan pour qui Jean-Marie Le Pen n’était « ni raciste ni antisémite », se sont vu dérouler le tapis rouge.
Le plan com était rodé : interview de Jordan Bardella au très conservateur quotidien The Jerusalem Post, visite des territoires attaqués le 7 octobre, entretien avec le président de la Knesset, le parlement israélien, visite privée du Mémorial de la Shoah Yad VaShem, rencontre avec la communauté française d’Israël…
« Personne ne peut sérieusement nous reprocher de ne pas avoir tourné la page de notre parti, ose celui qui est à la tête d’une formation qui a investi plusieurs candidats antisémites aux législatives anticipées de l’été 2024. Je comprends désormais que la confiance ne se décrète pas. Elle se construit par les actes. Nous avons derrière nous des décennies de lutte contre l’islamisme. » Voilà qui suffirait, selon le RN, pour s’autoproclamer, toute honte bue, « meilleur bouclier pour nos compatriotes de confession juive », alors que le dernier rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme montre que l’extrême droite reste la plus atteinte par les préjugés antisémites.
Le Likoud, artisan du grand rapprochement
Ce déplacement en Israël doit aussi être lu, bien qu’il s’en défende, comme une allégeance à Benyamin Netanyahou et un soutien au massacre en cours à Gaza. Mercredi, la délégation du RN a vu le mur d’enceinte de l’enclave palestinienne, aperçu les volutes de fumée, entendu les bombardements. Jordan Bardella l’affirme, il n’est « pas là pour commenter les opérations militaires ».
C’est un pacte antimusulman qu’il est venu sceller. « Jordan Bardella n’est pas un homme d’extrême droite, mais un ami extrême d’Israël », adoube Amichai Chikli, ministre de la Diaspora et organisateur du colloque. Avec l’ex-député proche de Benyamin Netanyahou Meyer Habib, ce dernier, adhérent du Likoud, parti d’extrême droite israélien, est le principal artisan du grand rapprochement. « Nous avons besoin d’une guerre totale », a exhorté le ministre.
« Merci de vous tenir aux côtés des forces de la civilisation face aux forces de la barbarie », a aussi dit Benyamin Netanyahou, faisant sans cesse référence, tout au long de son discours guerrier, à Donald Trump. Assis au premier rang, Jordan Bardella – qui considère que la solution à deux États est rendue impossible par l’existence du Hamas tout en trouvant « utopique » le plan de Trump visant à déplacer les Gazaouis hors de l’enclave – a applaudi.
Pour l’Humanité, il n’y a plus de place en raison « d’un espace contraint » au sein du Centre des conventions de Jérusalem, qui peut pourtant accueillir plus de 3 000 personnes. Voilà comment les autorités israéliennes ont justifié le retrait, vendredi dernier, de l’accréditation qui nous avait été initialement accordée. Mais l’Humanité a pu se procurer un mail envoyé par les organisateurs, mardi 26 mars aux alentours de 17 heures, invitant les retardataires à s’accréditer pour le grand raout des extrêmes droites mondiales, dont le RN. La formation lepéniste avait également refusé d’accréditer l’Humanité pour le voyage de Jordan Bardella en Israël. « Je répondrais à vos questions lorsque vous arrêterez de me traiter de facho », a-t-il lancé lors du seul échange avec notre reporter sur place. Sa façon d’éviter une question sur le sort des territoires occupés et des civils palestiniens aujourd’hui de nouveau sous les bombes de son nouveau meilleur ami, Benyamin Netanyahou.
Le grand raout des extrêmes droites ne provoque pas de tollé national en Israël, bien que le président, Isaac Herzog – dont le rôle est honorifique – ait refusé de les recevoir. « Benyamin Netanyahou et ses ministres ne sont que les symptômes de ce qui s’est formé dans l’âme collective du pays », regrette le cinéaste Nadav Lapid.
« J’ai honte mais cette invitation n’est pas étonnante »
Mis à part le journal de gauche Haaretz, violemment attaqué pendant la conférence, et quelques titres de presse plus confidentiels, la venue des extrêmes droites européennes ne fait pas la une. Les progressistes avec lesquels l’Humanité a échangé tentent malgré tout de faire entendre une autre voix, là où certaines autorités morales, comme la famille Klarsfeld, cèdent sous la peur de l’islamisme.
« J’ai honte, mais cette invitation n’est pas étonnante, car la population est globalement de droite et d’extrême droite, alors ça ne les dérange pas que Jordan Bardella ou Viktor Orbán soient les amis d’Israël, s’insurge l’historien Shlomo Sand. C’est une alliance naturelle entre un gouvernement d’extrême droite qui tue des Palestiniens, des musulmans et cette Europe islamophobe. »
« Benyamin Netanyahou dit que nous serions l’avant-garde de l’Occident, que nous défendons ses intérêts. Sauf que c’est un gouvernement isolé à qui il ne reste, pour appui inconditionnel, que Donald Trump, Javier Milei et les extrêmes droites européennes », analyse l’historien Efraim Davidi, également membre du bureau politique du Parti communiste israélien.
Rien qui ne saurait justifier ce « crachat fait à mes grands-parents, mes parents, leur histoire et leurs souffrances », s’émeut Michel Warschawski, figure de la gauche radicale israélienne et du mouvement pour la paix. « Israël et sa société se sont déconnectés de l’histoire juive. Au fond, il y a une honte de ce passé, de ces Juifs qu’ils jugent méprisables, car conduits à l’abattoir comme des moutons », assure celui dont les quatre aïeuls ont dû vivre cachés ou avec l’étoile jaune dans la France de Vichy.
Yaël Lerer, candidate Nupes puis Nouveau Front populaire dans la 8e circonscription des Français de l’étranger qui inclut Israël, ne décolère pas non plus : « Ce sont des négationnistes qui parlent entre eux et qui passent leur temps à instrumentaliser la Shoah sans l’avoir comprise. Je rappelle que Benyamin Netanyahou, en 2015, avait tenté de réécrire l’histoire, en affirmant que le grand mufti de Jérusalem était l’inspirateur de la « solution finale ». » Une première tentative de falsification des faits qui en appelait une autre : pour le premier ministre israélien, qu’importe qui a vraiment organisé l’extermination des juifs durant la Seconde Guerre mondiale, qu’importe qui sont les véritables promoteurs de l’antisémitisme aujourd’hui, tant qu’on lui laisse les mains libres.
Face à l’extrême droite, ne rien lâcher !
C’est pied à pied, argument contre argument qu’il faut combattre l’extrême droite. Et c’est ce que nous faisons chaque jour dans l’Humanité.
Face aux attaques incessantes des racistes et des porteurs de haine : soutenez-nous ! Ensemble, faisons entendre une autre voix dans ce débat public toujours plus nauséabond.Je veux en savoir plus.