L’Europe forteresse cherche à faire enfler son arsenal répressif contre les exilés et ceux qui les aident. C’est ce que l’ONG Statewatch a pointé au milieu de l’été, révélant l’existence d’un projet européen de modification de la directive sur l’aide à l’immigration illégale de 2002.
Ce texte est actuellement débattu au sein de la Commission européenne et du Conseil européen. Il prévoit notamment l’introduction de la notion floue de « bénéfice financier ou matériel », à la place de celle de « bénéfices économiques et financiers ».
Cette disposition modifierait la définition de l’aide à l’entrée, au transit ou au séjour irrégulier, en précisant que celle-ci peut constituer une infraction pénale si l’exilé « demande, reçoit ou accepte, directement ou indirectement » un avantage ou obtient la « promesse d’un tel avantage », ou même encore s’il « adopte un comportement en vue d’obtenir un tel avantage ». En clair : un exilé qui, par exemple, accepterait de piloter un canot en échange d’une diminution du prix de sa traversée, serait alors directement considéré comme passeur.
Les ONG dans le viseur
« Cela vaut autant pour l’aide à l’entrée que pour l’aide au séjour, c’est-à-dire l’assistance à une personne en situation irrégulière demeurant sur le territoire », a indiqué, dans la presse, Silvia Carta, chargée de plaidoyer du PICUM (Platform for International Cooperation on Undocumented Migrants), avant de préciser : « Toute forme de service induisant un bénéfice peut être criminalisée. Imaginons, par exemple, un conducteur de taxi qui fait payer sa course. Ou bien quelqu’un qui loue son appartement à une personne se retrouvant en situation irrégulière. »
Pour Yasha Maccanico, coprésident de l’ONG Migreurop, contacté par l’Humanité, l’ancienne version du texte était, en outre, « plus contraignante, pour les forces de police, dans la constatation d’une infraction et dans les démarches pour lancer des poursuites judiciaires ». Pour lui, les États européens n’ont cependant pas attendu ce projet de modification législative pour « employer des moyens conçus pour la lutte contre la mafia ou le terrorisme afin d’ouvrir des investigations policières injustifiées ».
Le projet de réforme crée également un nouveau préjudice lié au fait de risquer de « causer des dommages graves ». Pour Silvia Carta, « cela pourra concerner les pilotes de canots bien sûr, mais aussi quiconque conduirait des exilés en situation irrégulière dans une voiture. Ou encore pour les acteurs du sauvetage en mer, qui opèrent dans des situations à haut risque ».
On a aussi déjà pu voir les autorités italiennes reprocher aux sauveteurs solidaires de ne pas se soumettre aux injonctions de pseudo-garde-côtes libyens, leur demandant de ne pas intervenir ou de ramener les rescapés dans un port non-sûr, en violation pourtant du droit maritime.
Cette nouvelle disposition européenne, si elle était validée, pourrait incriminer les ONG qui refusent de se plier à de telles pratiques. « De la même façon, cette disposition pourrait s’appliquer aux parents qui sont contraints d’entreprendre des voyages risqués avec leurs enfants », complète la porte-parole de PICUM.
Vers un élargissement du « délit de solidarité »
Le texte défendu par les promoteurs de l’Europe forteresse introduit aussi la notion d’« incitation publique ». Celle-ci vise en premier lieu les publications en ligne des passeurs mais aussi le fait de fournir, dans le but de réduire les risques, des informations sur les dispositifs de régularisation de sa situation administrative ou sur les droits auxquels on peut avoir accès lorsqu’on se trouve en situation irrégulière. « Les ONG, activistes, mais aussi les journalistes qui produisent ce type d’informations pourraient donc être concernés », alerte encore Silvia Carta.
Cet hiver, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits humains craignait déjà que de telles mesures soient utilisées « pour criminaliser les défenseurs des droits de l’Homme et dissuader les citoyens de partager des informations concernant la migration vers l’Union européenne ». « C’est également un coup porté à la liberté d’expression », s’insurge Yasha Maccanico.
En effet, le fait de défendre l’idée d’une liberté de circulation universelle, ou de manifester pour la reconnaissance des droits des travailleurs sans-papiers, par exemple, pourrait facilement, selon la sensibilité des dirigeants de tel ou tel État européen, tomber sous le coup de ce type de disposition législative. Ce durcissement tous azimuts de la directive sur l’aide à l’immigration illégale vise, bel et bien, à criminaliser encore plus les exilés contraints à la migration et à élargir le champ du « délit de solidarité ».
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