Comment appréciez-vous l’évolution du débat sur l’immigration depuis la nomination du gouvernement Barnier ?
Nous atteignons un point de bascule : la France et l’Europe ne considèrent plus tout à fait les personnes exilées comme des êtres humains. La logique de déshumanisation des migrations a conduit à la remise en cause des principes du droit d’asile, avec la généralisation de l’externalisation des demandes hors de l’Union européenne.
C’est devenu l’obsession des gouvernements européens, libéraux ou autres, qui ont fait d’une première ministre d’extrême droite le modèle en matière de lutte contre l’immigration irrégulière. Tous mettent d’ailleurs en avant les chiffres sur l’immigration de Giorgia Meloni (première ministre italienne et cheffe du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia – NDLR), mais passent sous silence le conditionnement des aides publiques aux associations en fonction du profil des bénéficiaires, étrangers ou uniquement italiens. Cette mesure, c’est la xénophobie transposée dans la loi. Derrière la lutte contre l’immigration, il y a clairement la lutte contre les étrangers.
Le projet de nouvelle loi immigration avancé par Bruno Retailleau ne vous fait-il pas regretter que les mesures de la précédente réforme n’aient été retoquées par le Conseil constitutionnel que sur la forme et non sur le fond ?
Si on pouvait se satisfaire d’une censure des pires mesures de ce texte, même si elle ne jugeait pas sur le fond, on en connaissait la faiblesse. On redoutait que les mêmes mesures ne reviennent par un nouveau texte, ce qui est proposé aujourd’hui par le ministre de l’Intérieur. La bataille idéologique continue.
Il faut expliquer, par exemple, que la remise en cause de l’aide médicale d’État (AME) échappe à toute forme de rationalité en termes de santé publique. Si on explique aux gens qu’ils vont être plus malades en supprimant l’AME, parce que les exilés seront plus contagieux, sa remise en cause sera peut-être regardée autrement. Si on explique que la suppression de l’AME fera qu’on recommencera à mourir de la tuberculose, et pas uniquement les étrangers, alors les Français seront favorables à l’AME.
Mais, de toutes parts, les choses sont présentées autrement…
En effet. On a des médias racistes, comme ceux de Bolloré, qui offrent une représentation de la réalité très éloignée de ce qu’elle est. On a des ministres comme Bruno Retailleau qui pensent qu’il faut distribuer partout des coups de matraque. On est aujourd’hui dans la pire version de la France.
Sur la question migratoire, il n’y a plus de frontière entre la droite et l’extrême droite et, d’ailleurs, plus non plus entre le centre droit et l’extrême droite. La dernière loi immigration avait obtenu la validation idéologique du Rassemblement national. Gabriel Attal, Gérald Darmanin, Élisabeth Borne et Jordan Bardella se sont alignés. Les gouvernements dits libéraux sont devenus les architectes de politiques inspirées de l’idéologie de l’extrême droite.
Comment résister à ce déclin idéologique ?
Il faut développer des arguments rationnels, mais cela ne suffira pas. Face à l’angoisse identitaire, nous devons démontrer que l’immigration est une solution. Cette angoisse est en partie nourrie par l’éloignement des services publics. Or, l’immigration est un des moyens pour maintenir des gares, des écoles, des hôpitaux et les commerces de proximité sur l’ensemble du territoire. Il faut construire un discours politique présentant l’immigration comme un outil.
Vous voulez partir à la retraite à 68 ans, alors oui, il faut empêcher les travailleurs étrangers de cotiser et les expulser. Si on applique le programme de Jordan Bardella, on accepte que l’âge légal de départ à la retraite soit entre 67 et 68 ans. Le programme de Retailleau, c’est la retraite à 68 ans et la tuberculose pour tous.
Le travail des associations ne joue-t-il pas aussi un rôle important pour rendre désirable le vivre-ensemble ?
Certes, mais l’État est en train de réduire les moyens qu’il alloue à l’économie sociale et solidaire. Les collectivités locales vont répercuter ces baisses sur les associations. Un certain nombre de régimes de défiscalisation vont être supprimés. C’est une triple lame qui va toucher tous les acteurs du privé non lucratif, ce qui entraînera une amplification des inégalités et de la pauvreté. Cela veut dire aussi la suppression de 186 000 emplois dans le champ de la solidarité, du sport, de la culture et des services aux personnes les plus vulnérables. Il faut se mobiliser contre ce déclin généralisé.
Aux côtés de celles et ceux qui luttent !
L’urgence sociale, c’est chaque jour la priorité de l’Humanité.
En exposant la violence patronale.
En montrant ce que vivent celles et ceux qui travaillent et ceux qui aspirent à le faire.
En donnant des clés de compréhension et des outils aux salarié.es pour se défendre contre les politiques ultralibérales qui dégradent leur qualité de vie.
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