Lille (Nord), correspondance particulière.
Dans un courrier du 19 décembre, Marie Tonnerre-Desmet, vice-présidente divers droite (DVD) du conseil départemental du Nord chargée de l’enfance, de la famille et de la jeunesse, informait Julien Quennesson, maire de Somain, que « le financement des équipes de prévention spécialisée de la Bouée des jeunes (une mission de l’association Gap – NDLR) intervenant sur (sa) commune » ne se monterait plus qu’à 79 % de la subvention précédente.
Dans ce nouveau contexte, si le maire communiste de Somain, petite ville de 12 000 habitants située entre Douai et Valenciennes, souhaite « maintenir les actions menées (…) auprès des jeunes vulnérables », il lui faudra débourser 17 698 euros. Mais comment faire quand les coupes dans le budget 2025 de l’État sont synonymes d’« une perte colossale de 1 million d’euros » pour sa commune, comme l’expliquait dans le bulletin municipal de janvier Julien Quennesson ?
Toutes les mairies du Nord dans lesquelles interviennent des structures de prévention spécialisée, compétence départementale, ont pourtant reçu une telle demande de « cofinancement », calculée « sur des indices de fragilité sociale de la jeunesse, associés au potentiel financier des communes ».
« Rendre les jeunes autonomes »
Cette initiative prolonge la décision de Christian Poiret, président DVD du conseil départemental, de diminuer de 3 millions d’euros le budget de la prévention spécialisée. Le département « est confronté à des dépenses supplémentaires imposées par l’État sans compensation », se justifie-t-il.
Un collectif de 12 associations de prévention chiffre la chute de l’aide à 25 %, soit un risque de « suppression de 50 à 60 postes d’éducateur de rue » sur les 300 qui accompagnent chaque année 10 000 jeunes. Une baisse de moins de 20 %, rétorque Christian Poiret, qui intègre cependant dans son calcul les interventions dans les collèges des agents de liaison sociale en établissement scolaire (Alses).
« À la Bouée des jeunes, ce sont 600 000 euros de moins sur un budget de 3 millions et 10 éducateurs menacés sur 50. Nous accompagnons 1 200 jeunes par an », explique Sylvie Devaux, cadre de l’association. « Nous intervenons dans les quartiers prioritaires pour rendre les jeunes autonomes, sans injonction du juge, sur le volontariat », précise sa jeune collègue éducatrice de rue Sabra Gharnout, qui « utilise la boxe anglaise pour créer une relation de confiance ».
Toutes deux font partie des plus de 1 000 personnes qui ont manifesté le 6 février à Lille pour protester contre ces coupes. « Nous sommes présents dans les territoires afin de prévenir les risques de marginalisation et d’exclusion des jeunes et des familles. Nous sommes au plus près des publics vulnérables pour repérer, prévenir alerter et accompagner les enfants, adolescents et jeunes adultes en risque de danger », insiste Laura Mounier, éducatrice à l’association lilloise Itinéraires et membre du collectif Touche pas à Prév.
Dans un appel à la manifestation, la structure qui l’emploie assure par ailleurs que « la prévention spécialisée ne coûte pas cher à la société : un jeune qui n’est pas accompagné par un club de prévention risque de basculer dans des conduites à risque, d’être placé dans un foyer ou un centre éducatif renforcé, qui coûte 684 euros par jour, contre un coût de 4,72 euros (par jeune suivi – NDLR) pour un éducateur ».
« Ils ne veulent plus financer le travail de rue. On n’est plus dans la protection et l’accompagnement, mais dans le contrôle et la répression », nous confie Philippe Toulouse, délégué CGT de l’Association d’action éducative, à Dunkerque.
« Si vous n’êtes pas bien ici, allez travailler ailleurs ! »
Sur la tribune improvisée au pied du siège du département, des éducateurs de Paris et de Poitiers expriment leur solidarité, suivis par le député LFI du Nord David Guiraud et les groupes d’opposition du conseil départemental. « Le budget sera voté fin avril, il nous appartient à tous de ne pas faiblir », lance Charles Beauchamp pour le PCF.
Presque couvert par les cris de « Poiret, démission ! », Olivier Treneul, du syndicat SUD du département, rappelle de son côté la cérémonie de vœux du 24 janvier, pendant laquelle des assistantes sociales du département ont dénoncé leurs conditions de travail. Une vidéo sur les réseaux sociaux immortalise leur président leur hurler : « Si vous n’êtes pas bien ici, allez travailler ailleurs ! »
Le nombre de manifestants prouve d’ailleurs que la colère, notamment alimentée par une récente agression à la Maison Nord solidarités à Lille, va au-delà de la prévention spécialisée. Mathieu Bouery, juge des enfants à Lille et délégué régional du Syndicat de la magistrature, pointe ainsi le « manque de moyens de la protection de l’enfance » : « On voit tous les jours des mesures de placement pas ou mal appliquées. »
Le média que les milliardaires ne peuvent pas s’acheter
Nous ne sommes financés par aucun milliardaire. Et nous en sommes fiers ! Mais nous sommes confrontés à des défis financiers constants. Soutenez-nous ! Votre don sera défiscalisé : donner 5€ vous reviendra à 1.65€. Le prix d’un café.Je veux en savoir plus !