Parce qu’ils ne cessent d’alerter le gouvernement en vain depuis des mois sur le drame humanitaire qui se joue dans le pays, cinq maires écologistes et socialistes de grandes villes – Strasbourg, Rennes, Lyon, Bordeaux et Grenoble – ont décidé d’attaquer l’État devant les tribunaux administratifs, le 15 février.
En demandant le remboursement des frais engagés par leurs collectivités pour pallier les manquements de l’exécutif en matière d’hébergement d’urgence pour les sans-abri, ils entendent surtout lancer un vrai cri d’alarme.
Un droit inconditionnel
Ils accusent l’État d’une carence dans son obligation d’héberger toutes les personnes qui le demandent. La loi est pourtant claire là-dessus : dans le Code de l’action sociale et des familles, il est stipulé que « toute personne sans abris en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence ». Un droit que le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ont plusieurs fois sanctuarisé comme « inconditionnel » et relevant de la responsabilité de l’État.
« On ne peut pas gérer seuls cette crise systémique et structurelle »
Nathalie Appéré, maire de Rennes
« Nous avons 28 enfants qui dorment sous des tentes et 20 autres qui sont hébergés dans des conditions déplorables. On se heurte aujourd’hui aux limites de ce que nous, ville, on peut faire. En clair, on ne peut pas gérer seuls cette crise systémique et structurelle », explique la maire de Rennes. Au début de son mandat, Nathalie Appéré (PS) s’était engagée à ce qu’aucun enfant ne dorme dans la rue.
Mais le volontarisme politique et financier (Rennes a créé et gère 900 places d’hébergement, la municipalité dépense trois millions d’euros par an en dehors de son champ de compétence) des villes a ses limites. Il est donc important, explique-t-on à Rennes, de « poser les choses sur ce qu’on dépense à la place de l’État ». À titre d’exemple, Strasbourg facture la mise à disposition d’un gymnase, Bordeaux d’une salle d’accueil, Grenoble l’hébergement d’une famille… Les sommes réclamées vont de 130 000 euros pour Bordeaux à trois millions d’euros pour Rennes.
Au-delà, il s’agit pour ces élus d’obtenir une réponse du gouvernement face à l’aggravation du nombre de personnes sans-abri. Jeanne Barseghian, maire EELV de Strasbourg, insiste : « Nous ne pouvons plus accepter des plans grands froids décidés à la dernière minute, des mobilisations en dernier recours et, selon les températures, de gymnases… Nous demandons au gouvernement de revoir tout le système d’hébergement d’urgence : des critères d’acceptation, des nuitées dans les hôtels, de la gestion au thermomètre… »
Une proposition de loi pour faciliter les réquisitions de logements vides
Dans un courrier daté de décembre, ces cinq maires, avec celle de la ville de Paris, avaient demandé un rendez-vous au président de la République. Début octobre déjà, ils avaient intenté des recours devant leurs préfectures respectives pour demander à l’État de rembourser les sommes dépensées par les municipalités afin de venir en aide aux sans-abri. Un cri d’alerte resté lettre morte. Alors ils ont décidé de passer à la vitesse supérieure. « Le constat est posé depuis des mois, voire des années, avec des alertes extrêmement claires », a précisé Jeanne Barseghian dans une conférence de presse en ligne avec ses homologues.
Évoquant le dernier rapport de la Fondation Abbé-Pierre qui comptabilise 330 000 personnes sans domicile en France, la maire de Strasbourg a dénoncé « le silence assourdissant de l’État ». Éric Piolle, maire écologiste de Grenoble, a rappelé « la promesse » du président de la République en 2017, selon laquelle personne ne devait dormir à la rue d’ici la fin de son premier quinquennat. « Sept ans plus tard, on est loin de cette promesse », constate-t-il. Plusieurs associations et acteurs concernés par l’hébergement d’urgence se sont montrés solidaires de la démarche des élus, comme le collectif Le revers de la médaille, qui rappelle au passage qu’à l’approche des Jeux olympiques 2024, 20 000 places en France dont 7 000 en Île-de-France sont nécessaires pour mettre à l’abri les personnes à la rue.
Le sénateur Ian Brossat (PCF) avait en ce sens déposé une proposition de loi le 11 janvier visant à confier aux maires le droit de réquisitionner des bâtiments vides. Le texte de l’ancien adjoint au logement à Paris rappelle ce « paradoxe persistant » : alors que le nombre de sans domicile fixe en France a augmenté de 30 000 en un an, le parc de logements vacants n’a cessé de croître dans les grandes métropoles. À titre d’exemple, 10 % du parc immobilier est vacant à Paris et Lille, 9 % à Marseille.