L’inconvénient avec les passations de pouvoir, c’est qu’elles s’accompagnent parfois de rétrospectives peu reluisantes. Officialisé le 5 mars dernier, le passage de flambeau entre François Bayrou et Clément Beaune à la tête du Haut-Commissariat au plan (HCP) jette une lumière embarrassante sur la vacuité des cinq années passées par l’actuel premier ministre aux manettes de cette institution rattachée à Matignon, créée en 2020 sur décision d’Emmanuel Macron.
Sa feuille de route pour le moins pléthorique souligne l’indigence de ce bilan : « Éclairer les choix collectifs que la nation aura à prendre pour maintenir ou reconstruire sa souveraineté et une autonomie européenne face à l’impact des évolutions démographiques, à la grande transition écologique et aux bouleversements du numérique et de la recomposition des chaînes de valeur mondiales. »
Il s’agit, officiellement, de prendre la mesure des failles révélées par la crise sanitaire en remettant la planification au goût du jour, sur le modèle du Commissariat général au plan (1946-2006), né après guerre pour moderniser l’économie française à travers une série de plans quinquennaux.
« Lot de consolation » pour Bayrou
Rien à voir donc, avait alors juré le président de la République, avec un « lot de consolation » sorti spécialement du chapeau pour offrir une vitrine nationale à son allié historique, parti du gouvernement avec pertes et fracas dans le sillage de l’enquête préliminaire sur l’affaire des emplois fictifs des assistants parlementaires européens du Modem, en juin 2017.
Le soupçon n’en est pas moins resté vivace, alimenté par l’empreinte quasi inexistante de l’institution sur les politiques publiques, qu’elle est pourtant censée orienter de façon indépendante. Comme l’a pointé un rapport sénatorial en 2024, elle n’a par exemple été associée « ni à l’élaboration ni à l’évaluation » du plan d’investissement d’avenir France 2030 de 54 milliards d’euros, lancé un an après la création du HCP.
Le HCP, une « coquille vide » ?
Son bilan jugé « famélique » n’a donc pas manqué de raviver au fil du temps les critiques dénonçant la création d’une « coquille vide », selon les termes de Guillaume Gontard, sénateur écologiste. Son groupe avait d’ailleurs convoqué un débat au Palais du Luxembourg au printemps 2024, afin de sommer le gouvernement de justifier le travail du haut-commissaire au plan. Des attaques qu’avait contrées François Bayrou dans les médias, en mettant notamment en avant le caractère bénévole de sa mission.
Cela n’empêche qu’entre 2020 et 2024, la dizaine de « notes stratégiques » produites par l’organisme, qui repose sur une équipe d’une dizaine de personnes et un budget de 1,9 million d’euros par an, n’auraient, selon les élus écologistes, pas été à la hauteur des enjeux inscrits dans ses missions. Le sénateur écologiste Daniel Salmon avait à cet égard fustigé des rapports traités « sans aucune transversalité ni prise en compte des défis qui nous font face », estimant que « toute prospective reste vaine si elle se limite à des réponses technosolutionnismes (…) sans qu’on imagine les risques de choc et de crises potentielles, notamment environnementales, géopolitiques, ou l’évolution des modes de vie ».
Restaurer la crédibilité
Une accumulation de critiques qui ont poussé Michel Barnier, en octobre 2024 – par ailleurs en quête d’économies lors de son éphémère passage à Matignon – à proposer la fusion de l’institution avec France Stratégie, un autre organisme chargé des réflexions prospectives du gouvernement. Héritier historique du Commissariat général au plan de 1946 les missions de ce dernier recoupent à bien des égards celles endossées par le HCP.
Avec toutefois un budget et une équipe bien plus étoffés pour France Stratégie : 23,1 millions d’euros lui étaient dédiés en 2024 et 135 personnes y travaillaient à la fin 2023. Ses rapports, consacrés à des sujets aussi variés que l’évolution de la demande en eau, la santé mentale des adolescents, l’attractivité de la fonction publique sont souvent scrutés de près et nourrissent régulièrement les débats.
Mener à bien la fusion des deux entités est aujourd’hui officiellement inscrit dans l’agenda de Clément Beaune. Pour l’ancien ministre des Transports – qui n’a pas répondu à nos sollicitations – l’enjeu, au-delà de son retour sur la scène nationale, plus d’un an après son éviction brutale du gouvernement en raison de ses critiques contre la loi immigration, sera avant tout de restaurer l’image de cette institution dont la crédibilité a été abîmée par l’impression « de navire sans boussole » laissée par son prédécesseur.
Un défi de taille, dans un contexte propice aux remises en question intempestives des organismes publics, et face à une actualité qui rappelle l’urgence de mettre en place des moyens à la hauteur pour anticiper les multiples menaces d’un monde qui vacille.
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