Il est malheureusement courant que, consécutivement à des dénonciations de harcèlement moral au sein d’une entreprise, la victime soit licenciée et souvent elle-même accusée de prétendues difficultés relationnelles. C’est ainsi qu’une chargée de clientèle dans une société de l’industrie pharmaceutique était licenciée pour insuffisance professionnelle mais surtout pour avoir adopté une « communication peu efficace », « fait preuve d’un manque de pédagogie et de diplomatie », « rendu les échanges tendus » avec ses collègues, et ce, dans le prolongement de ses propres dénonciations contre sa supérieure hiérarchique.
Alertée des faits de harcèlement à la fin du mois d’octobre 2018, la société attendait plus de trois mois pour déclencher une enquête interne qu’elle menait en conservant l’anonymat de toutes les personnes interrogées. L’enquête aboutissait sans trop de surprise à l’absence de reconnaissance du harcèlement de la manager, puis dans le mois suivant, au déclenchement du licenciement de la salariée plaignante. Le conseil de prud’hommes de Nanterre en formation du départage ne se laissait cependant pas duper par la manœuvre.
Après avoir rappelé « que les circonstances dans lesquelles cette enquête avait été diligentée » témoignaient elles-mêmes « d’un certain manque de considération à l’encontre de la salariée », le conseil jugeait le harcèlement moral établi. Pour y parvenir, les juges retenaient au préalable qu’il était étonnant que, dans le cadre de l’enquête, les relations entre la salariée et sa supérieure hiérarchique pourtant « au cœur de la dénonciation » ne soient que très « peu abordées ». Le conseil de prud’hommes s’étonnait ensuite que la société « n’ait pris en considération l’enquête menée que pour tirer les conséquences des griefs relevés à l’encontre de la salariée » et ce « alors même que l’enquête » faisait « non seulement état d’agressions verbales envers la salariée, mais encore d’une culture de communication inadaptée au sein de l’entreprise ».
Les juges relevaient également « une chronologie plus globale des faits laissant présumer une instrumentalisation de l’enquête RH diligentée » et l’incohérence de « la révélation soudaine d’une insuffisance professionnelle » alors que la salariée bénéficiait de huit années d’ancienneté et qu’elle justifiait du versement, tous les ans, d’une prime exceptionnelle en raison de ses objectifs individuels atteints, voire dépassés. Ainsi, les juges reconnaissaient le harcèlement moral, condamnaient l’employeur au titre de la nullité du licenciement, allant ainsi clairement à l’encontre des conclusions d’une enquête instrumentalisée au détriment d’une salariée qui avait osé dénoncer.
Jugement du 15 février 2024, conseil de prud’hommes de Nanterre. Avocat plaidant : Xavier Sauvignet.