Il y a neuf mois, une mobilisation exceptionnelle contre l’extrême droite au second tour des législatives anticipées a offert, au minimum, une respiration à la République, un sursis. Mais que reste-t-il, depuis, de ce front ? Emmanuel Macron a choisi de confier à Marine Le Pen les destins de ses gouvernements. Son premier ministre, François Bayrou, parle désormais de « submersion migratoire » et son ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, porte un discours d’extrême droite au sommet de l’État au prétexte que « c’est ce que les Français attendent ».
La gauche, de nouveau divisée et difficilement audible, doit reprendre en main ce combat contre la menace, qu’incarne le RN. C’est le sens des marches contre le racisme et le fascisme organisées ce samedi 22 mars.
Il convient aussi d’enrayer une machine infernale qui, des responsables politiques aux médias, valide progressivement les représentations de l’extrême droite et continue de la légitimer. Notamment celles selon lesquelles la France est mise en danger, dans son identité et dans sa chair, par l’immigration, l’islam et une insécurité prétendument grandissante. Des vérités alternatives qui ne résistent pas à l’examen des chiffres et des études sérieuses sur ces thématiques.
« Les Français sont « grand remplacés » par les étrangers »
L’expression « grand remplacement » tient du plus pur fantasme de l’extrême droite. À l’entendre, des Français disparaîtraient progressivement au profit de non-Français. Encore une fois, rien n’est plus faux. À l’heure actuelle, 8,9 millions de personnes vivant en France sont nées à l’étranger, soit 13,1 % de la population, d’après l’Insee. Nous sommes ici bien loin du tsunami migratoire. À titre de comparaison, la part de la population née à l’étranger est de 30 % en Suisse et de 20 % en Suède.
Continuons avec les chiffres. Toujours selon l’Insee, 331 000 immigrés sont entrés en France en 2022, contre 272 000 en 2019. 40 % d’entre eux sont nés en Europe et 35 % en Afrique. Contrairement aux idées reçues, les pays de naissance les plus fréquents pour les immigrés entrés en France en 2022 sont l’Ukraine (12,6 %), l’Algérie (6,4 %) et le Maroc (6,2 %).
Ces données montrent la nécessité de déconstruire le mythe selon lequel les pays du Sud partent « à l’assaut » de ceux du Nord, plus riches et prospères. D’ailleurs, ce sont souvent les pays à faibles revenus qui accueillent le plus de réfugiés. Sur les 117,3 millions de personnes déplacées en 2020, 75 % ont migré et vivent dans des pays de même niveau de revenus que le leur, et 69 % migrent vers des pays voisins, relève l’ONG Oxfam.
Par ailleurs, l’extrême droite considère que sont « français » les personnes blanches, et généralement chrétiennes. Or notre définition de la citoyenneté ne reconnaît ni couleur ni religion.
Face à la réalité des chiffres, l’argument de la « crise migratoire » s’effondre pour laisser place à un autre constat, celui d’une crise de l’accueil en France. Plutôt que de promouvoir l’intégration des personnes, les pouvoirs publics les stigmatisent en les confinant dans la précarité. Cette situation, alimentée par la diabolisation des étrangers, exacerbe les inégalités en renforçant le repli sur soi.
« On n’est plus en sécurité à cause de l’immigration »
À en croire l’extrême droite, les agressions, vols, meurtres et autres larcins en France seraient très largement commis par des immigrés, ici essentialisés et diabolisés. Faux. Selon les données du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) pour 2024, les étrangers représentent 17 % des personnes mises en cause par la police et la gendarmerie, confirmant ainsi leur statut minoritaire parmi les auteurs présumés d’infractions.
Cette proportion, stable depuis des années, contredit l’idée d’une explosion de la criminalité imputable aux populations immigrées. En fait, des amalgames simplistes entre « étrangers » et « immigrés », « mis en cause » et « condamnés » brouillent la réalité. Sans oublier que la précarité, l’exclusion sociale et les discriminations influencent bien plus l’exposition à la délinquance que la nationalité.
Mais pourquoi cette peur persiste-t-elle ? Le traitement médiatique des faits divers y contribue. La nationalité des auteurs est scrutée lorsqu’ils sont étrangers ou perçus comme tels, renforçant l’idée d’un lien entre immigration et délinquance. À l’inverse, les violences intrafamiliales, plus fréquentes, restent sous-médiatisées car n’appuyant pas le récit dominant. En 2023, plus de la moitié des victimes de violences physiques recensées l’ont été au sein de leur famille.Enfin, le discours sécuritaire de l’extrême droite séduit particulièrement dans les zones peu confrontées à l’immigration.
Plusieurs études montrent que le vote en faveur de l’extrême droite est plus élevé dans les zones rurales à faible présence immigrée. Ce vote repose davantage sur des craintes symboliques que sur une expérience directe avec l’immigration.
Le sentiment d’insécurité est souvent fantasmé, alimenté par des perceptions erronées, ce qui explique en partie l’implantation du RN dans les classes populaires et moyennes de ces zones, validant ainsi la « théorie de la menace », où l’étranger est perçu comme une figure abstraite, associée à une représentation sociale dont les électeurs cherchent à se distinguer.
« Les étrangers plombent notre modèle social »
C’est une idée reçue factuellement fausse, mais aux conséquences dévastatrices : le RN (et, de plus en plus souvent, une bonne partie de la droite) attribue souvent le creusement de nos déficits publics à la présence des étrangers, qui viendraient « piller » les aides sociales en France – RSA, aide médicale d’État (AME), etc. Ce fantasme de l’étranger profiteur s’impose hélas dans une partie de l’opinion : en 2023, un sondage CSA indiquait, par exemple, que plus des deux tiers des sondés étaient favorables à la suppression du versement des minima sociaux aux étrangers.
Pourtant, aucun chiffre ne vient confirmer ce cliché. Précisons d’abord que les étrangers extra-européens (boucs émissaires privilégiés de l’extrême droite), qui veulent bénéficier du RSA (635 euros pour une personne seule), doivent détenir un titre de séjour permettant de travailler en France depuis au moins cinq ans. Selon des statistiques citées par le gouvernement lui-même, en juin 2023, les étrangers extra-européens représentent moins de 16 % des quelque 2 millions de foyers bénéficiaires du RSA.
Pour ce qui concerne l’AME, permettant aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins à certaines conditions (il faut, par exemple, disposer de moins de 850 euros de ressources mensuelles), son « coût » global ne représentait, en 2023, que 0,3 % de l’ensemble de nos dépenses de santé (d’un total de 325 milliards d’euros). Pour ce qui est de la fraude à l’AME, même si certains cas sont régulièrement médiatisés, les montants en jeu restent extrêmement faibles. Un rapport du Sénat de novembre 2023 estimait le coût de la fraude à 500 000 euros environ pour 2022, soit environ 0,05 % des montants versés.
Surtout, la suppression de l’AME coûterait fort cher, comme le rappellent justement les économistes Philippe Batifoulier et Nader Nefzi, qui ont étudié le sujet : « S’il faut attendre que les patients soient gravement malades pour les prendre en charge, la dépense de santé ne sera pas seulement différée, elle sera majorée. Les malades seront soignés dans des situations plus critiques qui nécessiteront des soins plus lourds, donc plus coûteux. »
« L’islam représente un danger pour la République »
Dire que l’extrême droite n’évolue pas serait lui faire injustice. Dans sa stratégie médiatique de désignation d’un bouc émissaire, elle est passée de la haine du « juif » et du « judéo-bolchevique » à la haine du « musulman » et de « l’islamo-gauchiste » (quand bien même l’antisémitisme reste enraciné chez bien des activistes et élus d’extrême droite).
À l’entendre, l’islam et les musulmans seraient incompatibles avec la République, et même avec la « culture française ». Bien des combats que l’extrême droite a toujours rejetés (laïcité, féminisme…) sont aujourd’hui retournés par elle à la seule fin de stigmatiser les citoyens de confession musulmane, qui feraient courir un péril imminent à la France.
Si chaque personne souhaitant mettre la loi de Dieu au-dessus de celle de la République est à combattre dans notre pays, et ce quelle que soit sa religion, l’extrême droite tente de faire croire que tous les musulmans se comportent de la sorte et qu’ils sont les seuls à le faire.
En réalité, l’immense majorité des 5,8 millions de citoyens de confession musulmane vivent leur foi de façon totalement intégrée dans la République, qui assure à tous la liberté de croire ou de ne pas croire. Les attentats terroristes menés en France par des extrémistes se réclamant d’Allah ont bien sûr constitué un traumatisme, instrumentalisé par l’extrême droite pour dresser les uns contre les autres, et donc faire le jeu des terroristes…
S’il faut évidemment dénoncer et combattre tous les intégrismes, l’idée selon laquelle tous les musulmans le seraient tient de la fable raciste. Les réactionnaires fantasment une identité blanche et catholique. À la cohésion et au métissage, ils opposent la panique identitaire, en bons défenseurs d’un capitalisme qui a besoin de diviser pour mieux régner.
Face à l’extrême droite, ne rien lâcher !
C’est pied à pied, argument contre argument qu’il faut combattre l’extrême droite. Et c’est ce que nous faisons chaque jour dans l’Humanité.
Face aux attaques incessantes des racistes et des porteurs de haine : soutenez-nous ! Ensemble, faisons entendre une autre voix dans ce débat public toujours plus nauséabond.Je veux en savoir plus.