Un clitoris géant, peint en violet vif. C’est la forme que prend l’ornement disposé fièrement sur le camion du syndicat Solidaires. « Pour réaffirmer notre liberté sexuelle et celle d’avorter, même si notre nouveau gouvernement a tendance à l’oublier », s’exclame une manifestante du cortège parisien de la Journée mondiale pour le droit à l’avortement, ce 28 septembre. Sa pancarte, artisanale, représente un cintre dessiné au marqueur noir avec un avertissement : « touche pas à mon avortement ». Le message semble tout droit s’adresser au casting gouvernemental dont les acteurs principaux redoublent de conservatisme et de tendances régressives quant aux droits fondamentaux. « Très paradoxalement, Emmanuel Macron constitutionnalise l’IVG en expliquant la préserver d’un potentiel gouvernement d’extrême droite, contextualise Hélène Bidard, adjointe PCF à la Mairie de Paris en charge de l’égalité femmes-hommes. Six mois après, il n’attend pas que le Rassemblement national soit au pouvoir pour nommer des ministres hostiles à l’IVG. »
Le palmarès de Michel Barnier en la matière, Premier ministre depuis le 5 septembre, remonte à l’époque où il siégeait au Palais Bourbon. En 1982, il vote contre le remboursement de l’IVG par la sécurité sociale. Le plus âgé à occuper cette fonction sous la Ve République partage sa vision avec celle qu’il souhaitait nommer au ministère de la Famille, Laurence Garnier. La sénatrice des Républicains en a finalement été écartée pour être nommée au ministère de la Consommation. Avec Bruno Retailleau et Patrick Hetzel, les trois nouveaux ministres s’étaient opposés à l’inscription de l’IVG dans la Constitution, le 8 mars dernier. « En clair, ce gouvernement rassemble les pires réactionnaires de notre monde politique, ceux qui se battent pour le recul de nos droits », tranche Mathilde Panot. Arrachée sans leur vote, cette bataille de longue haleine demeure une fierté retranscrite dans la loi et sur les affiches distribuées aux passants.
Bien moins de lieux où il sera possible d’avorter
Un climat d’inquiétude flotte, malgré les chants féministes scandés. Sarah Durocher, présidente du Planning familial, redoute de nouvelles attaques extrêmes droitières contre les antennes de l’association. « Les signaux peu rassurants se multiplient : le RN gagne du terrain aux différentes élections, le gouvernement Barnier compte des ministres très conservateurs et nous venons de perdre un Ministère de plein exercice sur les droits des femmes ». Le nouveau secrétariat d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes est confié à la très peu convaincue, Salima Saa. En 2012, cette dernière jugeait le ministère des droits des femmes « ridicule », dans un article de Slate. « Elle va faire des miracles, je le sens », ironise une manifestante. Ses camarades s’esclaffent.
Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes (CNDF), s’alarme plutôt des « entraves » à l’application de cette liberté. Le chantier d’austérité budgétaire et d’affaiblissement des services publics débuté par le gouvernement Attal risque d’être poursuivi. « Cela signifie que des hôpitaux et des maternités de proximité vont être fermés et, mécaniquement, il y aura bien moins de lieux où il sera possible d’avorter », déplore Suzy Rojtman. C’est sans compter les 130 centres d’IVG qui ont dû fermer leurs portes, depuis quinze ans, faute de financement suffisant. Le baromètre du Planning familial, paru ce mercredi, dresse le triste constat de disparités territoriales notamment. « C’est inadmissible de devoir changer de département pour avorter », s’indigne Mathilde Panot. Cette réalité concerne 17 % des personnes selon les dernières données du service statistique du ministère de la Santé (Drees), en 2022. « Voilà ce qui arrive lorsqu’on applique une idéologie de droite libérale : des déserts médicaux et des freins à l’accès de l’IVG apparaissent. », affirme la secrétaire confédérale chargée de la mission femme-mixité à la CGT, Myriam Lebkiri, gilet violet sur le dos.
La privation de financement, une manière de s’attaquer à l’avortement
Les manques de financements pour garantir le droit à l’IVG se posaient déjà avant son inscription dans la Constitution. Le choix de la dénomination « droit » ou « liberté » ne concernait pas seulement une préférence langagière. Hélène Bidard explique : « Le mot « droit » implique que les moyens pour sa mise en place soient mobilisés. Et c’est de cette façon que la privation de financement devient une manière de s’attaquer à l’avortement ».
Le cortège, au pas hâtif, avance en direction du centre d’IVG de l’hôpital universitaire Pitié-Salpêtrière. Ce point d’arrivée symbolique permet d’affirmer leur présence féministe dans un lieu où se croisent les personnes concernées par l’avortement et parfois, des activistes anti-choix, anti-droits. Hélène Bidard a déjà eu affaire à eux. Par la voix de la Ville de Paris, l’élue a déposé plainte contre un site, « Les Survivants », qui diffusait des fake news et des discours culpabilisants au sujet de l’Interruption volontaire de grossesse, aujourd’hui fermé. « Ce n’est pas normal que ce soit la ville de Paris qui se charge d’agir contre ces militants anti-choix et leur arsenal numérique ! », s’exclame-t-elle. Comme pour lui répondre, Suzy Rojtman, du Collectif national pour les droits des femmes, martèle : « Les anti-ivg ne lâchent jamais mais nous, encore moins ! »