Emmanuel Macron nous promettait une « surprise », selon la communication de l’Élysée. « L’inattendu » n’étant pas une garantie contre la déception, celui-ci a pris la forme, ce vendredi 13 décembre, de la nomination d’un historique de la Macronie au poste de premier ministre : François Bayrou. Le président du Modem devient chef de gouvernement après une conversation de 1 h 45 avec le président, que les commentateurs disent « tendue », et au cours de laquelle le centriste se serait imposé.
De fait, Emmanuel Macron choisit en catapultant le centriste à Matignon de poursuivre sa politique. Comme si aucune élection n’avait eu lieu en juillet, comme si aucune censure n’avait été votée. Une semaine après avoir promis aux Français « une époque nouvelle qui doit commencer où tous devront agir pour la France et où il faudra bâtir des compromis nouveaux », le président de la République nomme un historique de la Macronie, qui croit comme lui à la rhétorique usée du « dépassement » du clivage gauche-droite.
Macron choisit un fidèle de son camp
Les huit jours qui ont séparé la censure du gouvernement Barnier et la nomination de François Bayrou, alors que son camp répétait qu’il y avait « urgence » à avancer, symbolisent son impuissance. Refusant de remettre en cause sa politique, économique en particulier, il n’avait de fait aucune bonne carte dans sa manche. Hormis peut-être sa tentative de « gouvernement d’intérêt général », si tant est qu’il l’ait réellement envisagé un jour, de toute façon vite enterré par les différents groupes politiques du Parlement.
Invités à l’Élysée mardi, le PS, les écologistes et le PCF avaient pourtant fait un geste en promettant de ne pas utiliser le 49.3 si Emmanuel Macron daignait nommer un gouvernement du Nouveau Front populaire, avec un accord de non-censure. Un moyen de gagner du temps ? Une stratégie pour diviser le NFP ? Ces consultations n’auront au final abouti à aucun élargissement de la majorité présidentielle.
Selon les participants à la réunion du 10 décembre, le seul vrai consensus entre tous les partis représentés était la volonté de « sortir de la dépendance du Rassemblement national ». Sauf qu’Emmanuel Macron fait ici complètement l’inverse. Car en choisissant comme premier ministre un fidèle de son camp, le président de la République se place dans une impasse similaire à celle dans laquelle s’était enfermé Michel Barnier.
Premier ministre, François Bayrou, faute de pouvoir compter sur une non-censure de la gauche à qui il n’a pour le moment donné aucun gage, risque de remettre une fois de plus son destin aux mains du RN. Le parti d’extrême droite a assuré qu’il n’y aurait « aucune censure automatique » mais brandit plusieurs lignes rouges, notamment une augmentation des impôts.
« Cette nomination envoie un mauvais signal »
La première mission de François Bayrou, dont le gouvernement reste à déterminer, sera de bâtir un nouveau budget pour 2025, et trouver des majorités pour espérer une autre issue que celle d’un 49.3, suivi par une nouvelle motion de censure. Or, il est difficile, aujourd’hui, de voir quels députés pourraient venir en aide aux 211 élus macronistes et LR pour atteindre les 289 qui formeraient une majorité.
Si François Bayrou espère décrocher les socialistes du NFP, la France insoumise a d’ores et déjà annoncé préparer une motion de censure. Le PCF conjure, lui, le nouveau premier ministre de renoncer au 49.3 : « Cette nomination envoie un mauvais signal, car les Français attendent une nouvelle politique, mais nous sommes prêts à débattre s’il renonce à cet article », a déclaré Fabien Roussel, le secrétaire national du PCF. « Ce n’est plus de la politique, c’est du mauvais théâtre », a soupiré, pour sa part, la patronne des Écologistes, Marine Tondelier, qui appelle elle aussi François Bayrou à renoncer au 49.3.
Dans les jours qui viennent, le camp présidentiel pourrait donc, faute de mieux, mettre la pression sur les socialistes. Au vu de l’impasse institutionnelle, certaines figures de l’aile droite du PS comme Karim Bouamrane ou Carole Delga ont appelé à la « responsabilité », sous-entendu de pouvoir travailler avec la droite, pour le bien de la nation. Mais cette ligne ne devrait pas être partagée par la majorité des députés du parti à la rose. Comme dans le cas de Michel Barnier en septembre, quand le PS considérait que l’ancien premier ministre n’avait « ni de la légitimité politique, ni de la légitimité républicaine », les socialistes pourraient finir par censurer François Bayrou.
Le RN ne ferme pas sa porte
L’inverse pourrait les couper du NFP, même si leur porte-parole Dieynaba Diop avait ouvert une porte en début de semaine, précisant que la nomination d’un chef du gouvernement n’impliquerait pas forcément une censure a priori, à condition qu’un « accord de non-censure pour trouver des majorités texte par texte et des compromis soit conclu ». Or rien de tel n’a été scellé. De plus, ces derniers jours, les représentants du PS n’ont cessé de réclamer, comme première priorité, la « rupture avec la politique économique macroniste ».
Alors, le nouveau locataire de Matignon pourrait, comme son prédécesseur, être tenté de s’appuyer sur l’extrême droite. Dès le lendemain du vote de la motion de censure, le président du RN Jordan Bardella n’avait en tout cas pas fermé la porte à un nouveau soutien sans participation : « Si après-demain on a Monsieur Bayrou, ou Monsieur Lecornu, pour reprendre des discussions budgétaires plus respectueuses du pouvoir d’achat et des intérêts économiques du pays, nous travaillerons dans l’intérêt des Français comme nous l’avons toujours fait. »
Mais cela impliquerait un retour en arrière du RN après avoir censuré Michel Barnier, brouillant sa communication politique, alpha et oméga des choix du parti. Une seule chose est certaine : la recherche de majorité stable apparaît, sauf miracle, impossible, pour le gouvernement Bayrou. Le nouveau premier ministre semble déjà en sursis.
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