C’est une petite salle, nichée au fond d’un couloir, au sixième étage du vaste tribunal judiciaire de Paris. Cinq bancs, deux chaises, un public rare, pas d’effets de manches. Les prévenus n’en mènent pas large. Regards au sol, mines contrites, habits passe-partout. Ici, à condition que le tribunal accepte de l’homologuer, on sait d’avance la peine que l’on va prendre.
On l’a négociée en amont avec le parquet. On l’a acceptée. On est dans la chambre des comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), le « plaider-coupable à la française ». Ce 8 octobre, le tribunal examine deux dossiers d’évasion fiscale.
132 000 euros de préjudice fiscal
Monsieur L., 56 ans, tonsure luisante, approche de la barre. Est-ce parce qu’il est né à Mexico ? Ce petit homme, désormais installé à Nice, a le goût du voyage. Suisse, Panama, Grande-Bretagne, île Maurice.
Entre 2015 et 2018, la fortune de ce « broker en bateau de plaisance » a transité partout. Ici, il a fait un placement. Là, ouvert un compte. Là encore, une société bidon. Il a commis des faux en écriture publique, établi des factures mensongères, touché près de 500 000 euros de commissions indues.
Ses montages financiers lui ont permis de rapatrier des fonds en France. Il a acquis un chalet dont il a payé les travaux en espèces. « Fraude, blanchiment, faux, travail dissimulé », énumère le procureur, qui évalue le préjudice fiscal à 132 000 euros. « Reconnaissez-vous les faits ? » « Oui, Madame la présidente », répond une voix blanche.
Après un bref délibéré, le tribunal homologue la peine : douze mois de sursis probatoire et 50 000 euros d’amende. Monsieur L. signe une feuille, ajuste une casquette, enfile une jaquette. Il remercie plusieurs fois, tourne les talons, disparaît. Place au deuxième dossier.
« C’est pourtant la version la moins bouleversante de la justice »
Un couple. monsieur et madame M., la soixantaine, habitent le 16e arrondissement de Paris. Il a passé un modeste veston couleur vert bouteille sur un pantalon quelconque. Elle arbore une veste bleue plutôt chic et un impeccable carré blond cendré.
Autour d’un « groupe familial qui œuvrait dans la cosmétique », par le biais de « sociétés installées à l’étranger », à travers un « montage ayant pour objectif de profiter à Monsieur », les époux M. ont éludé au fisc 780 000 euros entre 2017 et 2019 et acquis une villa à Miami. Monsieur a déjà une condamnation pour tromperie à son actif. Le casier de madame est vierge.
Au micro, elle sanglote. La présidente s’émeut. « Je suis bouleversée », gémit la prévenue. « C’est pourtant la version la moins bouleversante de la justice, ici », glisse la magistrate. Le carré blond opine, l’époux tend un mouchoir, ça renifle à la barre.
« Je regrette beaucoup, beaucoup », répète la fautive d’une toute petite voix. Peines proposées : douze mois de sursis et 220 000 euros d’amende pour monsieur, six mois de sursis et 80 000 euros d’amende pour madame. Le tribunal se retire.
Les époux se redressent. « Vous étiez très bien », glisse l’avocate à sa cliente. Un coup de sonnette annonce le retour de la présidente. On se lève. On se rassied. Les deux homologations sont accordées. « Inutile de vous dire qu’il ne faut pas recommencer, prévient la magistrate. Cela se passera moins bien, je pense. »
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