Par Fabien Gay, directeur de l’Humanité
Le Parlement européen a adopté une « réforme du marché européen » de l’énergie qui, loin de remettre en cause le processus de libéralisation, aggrave encore la dérégulation de ce secteur stratégique et indispensable. En pleine crise énergétique, Ursula von der Leyen affirmait pourtant que « ce système de marché ne fonctionne plus », quand Bruno Le Maire le qualifiait d’« obsolète » et d’« aberrant ».
On pouvait donc s’attendre à une refonte du mode de fixation du coût de l’énergie, déterminé au niveau du coût de production de la centrale la plus onéreuse sur le réseau européen interconnecté, souvent à gaz. Initialement, ce mécanisme a été inventé par Marcel Boiteux, ancien PDG d’EDF, pour optimiser la rente de l’entreprise. Cependant, si ce système fonctionnait sur un territoire national avec une entreprise qui détient un monopole, sa mise en œuvre devient plus complexe sur un marché européen où la politique de production énergétique est différente selon chaque pays.
Ainsi, sur le marché européen, les centrales à gaz ne représentent que quelques pour-cent de la production électrique mais fixent le prix de marché pour 100 % de l’électricité ! Le prix est in fine le même pour tous ! Loin de mettre fin à ces logiques de pure rentabilité, les libéraux poursuivent dans leur dogmatisme de marché.
Ainsi, les ventes directes d’électricité (power purchase agreement) entre promoteurs d’énergies renouvelables et entreprises seront favorisées. Ces contrats longs garantissent certes une stabilité pour les entreprises et les producteurs en dehors du marché. Cependant, cela pourra conduire à terme les grosses entreprises électro-intensives à revendiquer une sortie du réseau électrique, entraînant un risque de sous-investissement.
Les États sont également encouragés à soutenir les énergies renouvelables et les centrales nucléaires neuves ou rénovées par les « contracts for difference » en garantissant aux fournisseurs d’électricité un revenu minimum, indépendamment des prix du marché, tout en plafonnant les bénéfices. Ce « dispositif de sécurité » permettrait aux États de prendre des mesures sur le modèle du bouclier tarifaire en France, si les prix dépassent 180 euros/MWh.
Cependant, le bouclier tarifaire et les 24 autres mesures mises en place depuis 2021 ont coûté près de 72 milliards d’argent public tout en laissant 30 milliards de marge nette aux acteurs de gros du marché de l’énergie, pendant que les factures bondissaient, quant à elles, de 3️6 % en moyenne. Usagers et usagères paient donc plus cher leur facture de la main gauche, et leurs impôts de la main droite pour garantir des profits aux énergéticiens. Il est temps d’agir en reconnaissant l’énergie comme un bien commun, en la sortant des mécanismes concurrentiels. Adoptons une nouvelle loi de nationalisation aussi ambitieuse qu’en 1946 sous la direction de Marcel Paul, ministre communiste, père d’EDF-GDF, et renationalisons Engie et TotalEnergies en les regroupant sous GEDF, Groupe Énergie de France. Le retour aux tarifs réglementés et son nouveau mode de calcul post-Arenh est une étape indispensable pour inventer un nouveau système solidaire d’échange d’énergie avec nos voisins européens.