Mettez-vous dans la peau du personnage : vous êtes Catherine, salariée atteinte d’endométriose, en pleine crise mais forcée de participer à une réunion. Choix possibles : « Attendre que la crise passe » ou bien « Sortir et aller aux toilettes ». Première option, l’écran d’ordinateur affiche un avatar, au physique proche des Sims, dont la vue se brouille à cause d’une douleur assourdissante. La seconde, Catherine s’isole et tente de calmer ses symptômes. Une fenêtre pop-up s’ouvre et met en contexte : « Pour 70 % des femmes atteintes d’endométriose, le symptôme principal est la douleur ! La douleur est amplifiée par le stress ! 58 % des femmes atteintes d’endométriose ont un niveau de stress plus élevé. » 1
Cette immersion numérique dans le quotidien bien réel d’une femme souffrant d’endométriose prend vie dans un jeu vidéo, « Endo’travail », réalisé par Diana Portela et Romaric Beltran en partenariat avec l’association EndoFrance. Pas de kart lancé à toute vitesse ou de bonbons à combiner, mais un serious game développé en mars 2023, dont le coût est estimé à 10 000 euros.
Le jeu est accessible en ligne, sans téléchargement et sur ordinateur, tablette ou téléphone. Quatre chapitres se débloquent au fil des dialogues, scénarios et personnages rencontrés : « l’absence », « au bureau », « l’annonce » et « l’aménagement ». Côté pile, il s’agit d’une activité ludique et fun. Côté face, la finalité se veut pédagogique et informative sur la réalité de la maladie.
« Prends un Spasfon ou du Doliprane et ça passera »
Car, comme si la souffrance physique ne suffisait pas, le lieu et l’ambiance de travail des femmes aggravent la charge mentale : aménagements impossibles, remarques déplacées ou acerbes, manque d’empathie, absence critiquée par la direction émaillent leur carrière.
« Je voulais sensibiliser au sujet de ce qui peut sembler être de petites remarques au travail mais qui sont, en réalité, des mots très violents et récurrents », rétablit la conceptrice, Diana Portela. C’est, en partie, pour s’adresser aux collègues de travail, aux managers et aux supérieurs hiérarchiques que la femme de 28 ans conçoit un jeu vidéo avec son conjoint, Romaric Beltran, ingénieur informatique. Douze jours ont été nécessaires pour la conception du jeu et deux mois, pour son développement technique.
L’idée lui vient dans un moment de souffrance. Diana Portela a subi la crise de douleur la plus transformatrice de son parcours de malade atteinte d’endométriose. Pendant deux semaines, elle peine à tenir debout et à se déplacer, fatiguée et déconcentrée. Les traitements et le suivi médical alourdissent son quotidien. « À ce moment, j’avais besoin de ne pas seulement subir la maladie, mais d’agir pour faire avancer la cause », retrace la consultante pédagogique et conceptrice numérique.
Freelance depuis 2015, elle travaille depuis son canapé, assise ou allongée, et évite soigneusement les chaises sur lesquelles elle est inconfortable. Diana Portela adapte son agenda et son environnement de travail en fonction des douleurs. Mais ça n’a pas toujours été le cas. Il y a quelques années, elle travaillait dans l’événementiel, ce qui lui imposait de rester débout et d’installer du matériel. Des tâches physiques que la maladie ne lui permettait pas : « Je ne pouvais plus suivre, j’ai demandé à changer de missions », se souvient-elle.
Au cours de sa carrière professionnelle, elle a également dû supporter les remarques déplacées du type : « Je connais une femme atteinte d’endométriose aussi, et, elle, elle va très bien ! » Ou bien : « Prends un Spasfon ou du Doliprane et ça passera », alors qu’ils sont inefficaces tant la douleur est forte. La consultante pédagogique se remémore aussi des situations gênantes où des collègues de travail tentaient de deviner de quoi elle souffrait, gastro ? Fatigue chronique ? Problèmes rénaux ?
« Comme si ce n’était pas suffisamment douloureux et désagréable de venir au travail dans de telles conditions, il faut en plus se soumettre à un interrogatoire… », se désole la conceptrice. Ce sont autant de situations qui lui ont inspiré les répliques des personnages du jeu, masculins ou féminins. « Les scènes présentées sont issues de moments vécus par les personnes concernées et même de ma propre expérience », confie Yasmine Candau, présidente de l’association EndoFrance, forcée de renoncer à son poste et à un temps complet à cause de la maladie. Quant aux différentes données scientifiques incorporées lors des répliques et scènes, elles sont extraites du livre blanc, « Endométrios & Emploi », réalisé par EndoFrance en 2022.
Pour 62 % des femmes atteintes d’endométriose, se lever le matin est parfois presque impossible
Dans les scénarios – écrits en quelques jours tant l’inspiration était forte – et les choix proposés, « il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises décisions, tranche Diana Portela, notamment car les solutions pour combiner vie professionnelle et santé au travail ne sont pas encore proposées par toutes les entreprises ».
Seules 25 % de ces dernières proposent des aménagements d’horaires ou de postes, selon une enquête du Centre d’études de l’emploi et du travail. Mais certaines d’entre elles sont désireuses de s’améliorer et de sensibiliser les salariés à la maladie. Selon Yasmine Candau, « il ne se passe pas une semaine sans qu’on nous demande d’intervenir en entreprise pour des webinaires » auxquels participent entre 25 et 150 volontaires à chaque fois.
En l’absence d’alternative concrète, les joueurs, parfois hésitants ou dubitatifs, se laissent guider pour alléger le quotidien de Catherine, avatar à la coupe de Playmobil. Après une nuit blanche ponctuée de saignements et de crises de douleur, trois boutons apparaissent sur l’écran : « demander un arrêt de travail », « demander à faire du télétravail » ou bien « aller au travail ». La question se pose d’autant plus que, pour 62 % des femmes atteintes d’endométriose, se lever le matin est parfois presque impossible, selon l’enquête EndoVie 2020.
Lorsque la dernière option est choisie et que Catherine se rend tant bien que mal jusqu’à son bureau, Djibril, collègue virtuel assis au poste d’à côté, se permet : « Ha ! Ha ! Tu as fait la fête hier soir ? Tu n’as pas très bonne mine. » Le personnage malade souffle tandis que l’écran se brouille pour « symboliser la vue qui se floute à cause de la douleur », explique Diana Portela.
Toujours selon l’enquête EndoVie 2020, 36 % des personnes concernées se rendent au travail malgré des symptômes qu’elles estiment incapacitants, cela au moins deux fois par mois. Alors Djibril énerve, contrarie et vexe avec ces remarques déplacées et irrespectueuses, qui se veulent drôles mais ne le sont pas. Ce jeu vidéo s’adresse à tous les Djibril, mal renseignés et peu empathiques, pour qu’ils puissent se mettre à la place de Catherine, qui souffre d’une maladie qui prend parfois le pas sur sa vie professionnelle.
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