En ce début de soirée du 23 janvier, le gymnase Hautpoul, au cœur du 19e arrondissement de Paris, paraît endormi. L’effervescence de la journée semble avoir laissé place au calme, mais les apparences sont trompeuses. À l’intérieur du complexe sportif, c’est le branle-bas de combat.
Des dizaines de tables ont été disposées sur le terrain de football. Autour, plusieurs centaines de personnes s’activent. Certaines enfilent des gilets bleus fluo siglés « Nuit de la Solidarité ». Créé en 2018 par la mairie de Paris, cet événement propose chaque année à des Parisiens volontaires de recenser les personnes sans abri.
Une action qui ouvre la voie à des engagements futurs
Ce soir-là, 169 résidents du quartier se sont portés bénévoles. Mélanie en fait partie. À 49 ans, cette fonctionnaire à l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), participe pour la première fois au dispositif. « J’avais déjà vu passer des publicités sans jamais sauter le pas. Cette année, mon fils vient d’avoir 18 ans, on s’est dit que ce serait intéressant de partager ce moment tous les deux. Ce genre de démarche permet de retrouver une diversité d’engagements et de rencontrer des gens que l’on n’a pas l’habitude de voir dans le monde professionnel et amical », explique celle qui a longtemps été bénévole aux Restos du cœur.
Mélanie rejoint les cinq autres volontaires avec qui elle va sillonner les rues de la capitale. « Nous allons couvrir un secteur bien précis » détaille Galliane Chateaux. À 29 ans, la jeune femme a la charge d’encadrer le groupe. « J’ai participé l’an dernier en tant que bénévole », complète-t-elle.
« La Nuit de la Solidarité est un bon premier pas vers un futur engagement. »
Galliane, 29 ans
Depuis un an, elle travaille à la Fabrique de la Solidarité. L’organisme, rattaché à la mairie de Paris, oriente les Parisiens qui souhaitent agir dans le domaine des solidarités. « La Nuit de la Solidarité est un bon premier pas vers un futur engagement. Il y a toujours beaucoup de personnes qui s’inscrivent ensuite à notre newsletter pour être au courant des missions bénévoles », ajoute Galliane, avant de s’interrompre pour jeter un coup d’œil à l’horloge numérique, qui marque 22 heures.
Tordre le cou aux clichés sur la précarité
Le coup d’envoi de la Nuit de la Solidarité est lancé. Le groupe de Galliane s’engage vers la Porte de la Villette, armé de questionnaires anonymes. « L’idée est d’interroger toutes les personnes que nous rencontrons sur notre chemin pour savoir si elles ont un endroit où dormir pour la nuit. En 2024, nous avions décompté 3 492 personnes dans la rue. On différencie les personnes sans abri, qui logent dans un endroit impropre au sommeil, et celles sans domicile fixe qui peuvent être hébergées à l’hôtel ou chez des amis », détaille Albane.
La jeune éducatrice spécialisée de 34 ans participe pour la deuxième fois consécutive à l’évènement : « Je suis très sensible à la cause des personnes sans abri. J’ai déjà fait des maraudes ou des actions bénévoles consistant à leur préparer à manger. » Elle marque une pause et ajoute : « Ce qu’on fait ce soir est unique. Nous allons vers ces personnes dans le but de les aider au mieux. Sans ce recensement, on ne pourrait pas connaître certaines réalités qui resteraient invisibles. Les besoins des personnes à la rue sont d’autant plus multiples qu’il n’y a pas de profil type ! »
Décompter et connaître pour mieux aider
Les bénévoles interpellent plusieurs passants : « Vous avez un toit où dormir cette nuit ? » Tous répondent oui, surpris par la question. Le groupe s’engage ensuite sur le boulevard périphérique, en direction de la Porte de Pantin. Plusieurs abris de fortune, faits de tissus abimés et de cartons détrempés, s’entassent le long de la route. « Bonsoir ? », lance timidement Galliane.
La question reste suspendue dans le vide. « Si la personne dort, il ne faut pas insister. Nous indiquerons sur le questionnaire, plus tard, ce qu’on nous avons pu observer », indique-t-elle aux autres bénévoles. L’absence de réponse n’entame pas leur détermination. À Pantin, un homme accepte de leur parler. « Je suis en France depuis 2015. J’ai trouvé un logement avec 15 autres personnes. Je n’ai pas de travail puisque je suis sans papiers. C’est difficile », lâche-t-il pudiquement. « Ce que nous faisons ce soir peut générer de la frustration. À quoi cela sert-il de compter les gens si nous ne pouvons pas leur distribuer des couvertures ou de la nourriture ? C’est pourtant une opération essentielle, car c’est en connaissant le sujet que l’on peut apporter les bonnes réponses. Les données que nous récoltons ce soir pourront servir de bases pour de futures politiques publiques », justifie Mélanie.
« Un tel événement permet aussi de révéler les différents visages de la précarité, loin des clichés qu’on lui colle habituellement », complète Galliane. Il est presque minuit. Le groupe rebrousse chemin afin de regagner le gymnase. Avec les réformes du RSA et de l’assurance chômage, la Nuit de la Solidarité a malheureusement de beaux jours devant elle.
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