La parole d’Emmanuel Macron a une date de péremption. C’est ce qu’on constate en relisant, un an plus tard, les déclarations du chef de l’État dans l’entretien inédit, publié le 19 février 2024, qu’il a accordé à notre journal à l’occasion de la panthéonisation de Missak Manouchian. Ses propos de l’époque, fustigeant le RN ou les frappes israéliennes à Rafah, entre autres, auraient pu augurer une prise de conscience et un changement d’attitude. Un an plus tard, il n’en a rien été. La preuve en quatre citations devenues obsolètes.
« Je combats les idées du RN et je l’ai même défait par deux fois. »
Le chef de l’État s’est pris pour un sportif. Pour prouver qu’il combat l’extrême droite, il a mis en avant, face à l’Humanité, ses victoires électorales de 2017 et de 2022. Un argument hors de propos qui ne tient même plus : depuis, son camp a été très largement devancé par le RN aux élections européennes, puis lors des législatives anticipées. Et les idées lepénisées ont fait leur chemin dans le camp macroniste.
Notamment à travers Bruno Retailleau, qui a installé sa rhétorique d’extrême droite au ministère de l’Intérieur. Ou encore le premier ministre, François Bayrou, qui a pris à son compte le concept de « submersion migratoire » cher à Marine Le Pen.
Dans l’Humanité, Emmanuel Macron assurait aussi : « J’ai toujours considéré (…) que les textes importants ne devaient pas passer grâce à leurs voix. » Or, dès septembre, Marine Le Pen déterminait le choix du premier ministre : sans sa promesse de ne pas censurer a priori Michel Barnier, ce dernier n’aurait probablement pas été nommé.
Deux mois plus tard, le gouvernement Barnier marchandait ouvertement le vote du budget avec le RN, mettant même la fin de l’aide médicale d’État sur la table des négociations. Le mois dernier, le chef de l’État a aussi été bien heureux de voir les députés RN sauver la tête de François Bayrou, menacé de censure. Il ne s’est pas davantage ému lorsque, le 19 février, la nomination de son fidèle lieutenant Richard Ferrand à la tête du Conseil constitutionnel a été permise par l’abstention du groupe RN. Le fruit d’un « deal caché » ?
« Je vous le dis : restreindre le droit du sol pour Mayotte ne signifie pas de le faire pour le reste du pays. »
Un autre domaine dans lequel les idées d’extrême droite continuent de progresser dans le camp macroniste. Alors qu’en 2024 Emmanuel Macron clamait que la restriction du droit du sol à Mayotte resterait exceptionnelle, plusieurs de ses ministres avancent désormais l’idée de réformer voire de supprimer ce principe républicain dans toute la France.
« Je suis favorable à une restriction sur tout le territoire », a avancé Bruno Retailleau (Intérieur) début février. « Ça doit être réformé dans la Constitution et je pense que c’est au peuple français de trancher », a abondé Gérald Darmanin (Justice). Emmanuel Macron ne les a pas contredits. L’idée de revenir sur ce droit fondamental, unanimement taxée d’« antirépublicaine » il y a quelques années encore, est plus que jamais sur la table. Le gouvernement de Vichy y avait renoncé, des ministres macronistes en font désormais leur projet.
« Quelque chose ne tourne pas rond quand trop de titres se concentrent dans la main de quelques-uns. »
Quelques mois après la prise de contrôle du JDD par Vincent Bolloré, Emmanuel Macron s’était dit inquiet de la concentration des médias. Il s’est alors réfugié derrière les états généraux de l’information qu’il venait de lancer dans le but, a-t-il assuré, de créer un « cadre » afin que « des journalistes puissent informer en toute indépendance, avec une déontologie, dans un contexte pluraliste ». Cette initiative a fait flop.
Les résultats de ces états généraux, présentés en septembre, se concentrent sur la domination des Gafam et mettent de côté le rapport entre les rédactions et leurs directions ou entre les citoyens et les médias. Rien n’a donc avancé pour empêcher que les médias ne soient détenus par quelques milliardaires dont les ambitions idéologiques sont désormais limpides.
Il y a pourtant urgence, alors qu’à l’extrême droite Vincent Bolloré est désormais concurrencé par Pierre-Édouard Stérin. Si l’OPA de ce dernier sur Marianne a échoué, il n’a pas renoncé à bâtir un nouvel empire médiatique – avec Valeurs actuelles comme première cible.
« À mes yeux, Rafah est un point de rupture. »
Une déclaration forte, censée démontrer un changement d’attitude de la France vis-à-vis d’Israël. En février 2024, la lourde offensive terrestre sur Rafah, ville du sud de la bande de Gaza où 1 million de civils déplacés s’étaient réfugiés, venait d’être lancée. Trois mois plus tard, l’armée israélienne est entrée dans la ville, détruite sous les frappes aériennes. Les morts se comptent par centaines.
Aucune sanction n’a été prononcée – hormis celles, ciblées, contre 28 « colons israéliens extrémistes » en Cisjordanie. La « rupture » n’a pas eu lieu. La France reste, malgré quelques maigres avertissements et malgré les massacres, un soutien d’Israël.
Dans nos colonnes, le président de la République s’était aussi dit ouvert à la reconnaissance de l’État de Palestine : « Je veux le faire au moment où ce sera utile. » Depuis, aucun pas n’a été fait dans cette direction, alors que les Gazaouis sont encore massacrés, malgré le fragile cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, en cours depuis le 19 janvier.
Alors, quand Emmanuel Macron jugera-t-il « utile » de reconnaître l’État de Palestine ? Qu’a à répondre la France au projet de Donald Trump, qui souhaite « prendre le contrôle de la bande de Gaza », une fois vidée de ses habitants, pour créer une « Riviera du Moyen-Orient » ? Rien, si ce n’est que « la réponse ne peut pas être immobilière ». C’est dire quelle force il confère à la voix de la France…
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