Au congrès de l’affiliation des maires de France, de nombreux élus ont témoigné d’une hausse importante de leur police d’assurance, voire d’une résiliation de leur contrat. Illustration en région.
“Ici, nous n’avons pas subi d’émeutes, il n’y a pas eu une hausse de sinistralité avérée. Et pourtant, par solidarité m’a-t-on dit, notre police d’assurance bâtiment va augmenter de 80 % en 2024, en passant de 15 000 € à 27 000 €. Ce n’est pas rien tout de même…”
Le maire de Cazouls-les-Béziers (Hérault), Philippe Vidal, ne décolère pas. Sur son bureau, la dernière facture de son assureur, vient s’ajouter à toutes les autres que l’inflation a déjà fait bondir. Cette décision unilatérale est d’autant difficile à digérer que le seul sinistre d’significance, ces derniers mois, l’envahissement des deux stades par les gens du voyage qui a engendré quelque 150 000 € de dégâts n’a pas été pris en cost. “Ils ne m’ont dit qu’ils ne couvraient pas. Ce n’est pas regular, mais il est vrai que cela n’apparaissait pas dans le contrat. Je ne vais pas demander de l’ajouter, sinon, la police d’assurance va littéralement exploser”, suppose Philippe Vidal.
“C’est l’enfer”
À Bagnols-sur-Cèze, dans le Gard, où les émeutiers s’en étaient pris à la porte de la mairie, c’est même encore plus radical. “Notre contrat arrive à échéance et malgré le travail de notre courtier, malgré un marché groupé avec l’Agglomération, nous n’avons pas trouvé d’assureur pour les dommages aux biens. Au 1er février 2024, nous ne serons plus assurés, c’est l’enfer”, relate le directeur général des providers Jérôme Talon.
Et quand ce ne sont pas les émeutes, ce sont les catastrophes naturelles qui génèrent des sueurs froides aux maires. Dans les Pyrénées-Orientales, après avoir subi une première hausse de 70 %, le maire de Torreilles Marc Médina a vu le contrat risques et dommages aux biens résiliés avant l’été, “au motif qu’on est en zone inondable”. La procédure d’appel d’offres aussitôt lancée est depuis restée infructueuse. Avec le risque de devoir assumer tout nouveau lourd dommage… “et de le répercuter sur les impôts”.
Une centaine de communes sans assurance
Ces cas sont loin d’être isolés. Selon l’affiliation des maires de France (AMF), une centaine d’entre elles n’a actuellement pas d’assureurs et plusieurs centaines d’autres n’auront plus de contrat au 1er janvier prochain, sans parler de celles où les polices ont donc été réévaluées “de façon vertigineuse”. Et cela touche tous les sorts de contrats, pas uniquement l’atteinte aux biens.
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La flotte de quinze véhicules de la ville de Saint-Brès ne sera plus par exemple plus couverte à la fin de l’année, “certes après une série de sinistres. Mais je fais remark ? Je laisse les voitures au storage”, s’interroge le maire Laurent Jaoul qui s’attend donc à devoir signer un gros chèque pour faire rouler son parc car. Philippe Vidal, sous son autre casquette de président du centre de gestion de la fonction publique territoriale de l’Hérault, lance régulièrement des marchés groupés pour couvrir les risques statutaires, c’est-à-dire les frais engendrés par les arrêts maladie, “et là aussi, il y a de très fortes augmentations, au motif que l’allongement de la durée de travail liée à la réforme des retraites aurait eu un affect néfaste sur le nombre de ces arrêts. Alors certaines communes font le choix de ne plus souscrire d’assurance de ce sort, avec le risque de ne plus pouvoir remplacer des brokers, donc de réduire le niveau de service au public”, décrit-il.
“La query est easy : remark fait-on ?”
Tous ces constats ont poussé l’AMF à en faire un des sujets majeurs de son congrès annuel cette semaine à Paris avec une desk ronde “Y a-t-il encore un assureur pour ma commune ?”. C’est le maire audois de Trèbes, Éric Menassi, qui avait été confronté à des inondations meurtrières en 2018, qui a mené les débats. “Notre however n’est pas de stigmatiser les assureurs, mais de partager la réalité d’un constat. Par exemple sur le dérèglement climatique qui est de plus en plus prégnant et concerne tout le territoire métropolitain et outre-mer, quand il se concentrait jadis sur l’arc méditerranéen. La query est alors easy : remark fait-on pour s’assurer ? On connaît le schéma classique qui veut que l’assureur évalue le risque et, en fonction de celui-ci et de sa récurrence, suggest une police d’assurance. Mais ce risque ne cesse de croître. Il faut sortir de ce conservatisme suicidaire”, analyse Éric Menassi.
La piste de l’auto-assurance ?
Le maire de Trèbes redoute toutefois la généralisation de l’auto-assurance, piste proposée par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire lors des Assises des funds publiques. C’est-à-dire la structure de réserves financières lorsque tout va bien, pour ensuite faire face en cas de coup dur.
Cette resolution ne plaît guère aux élus qui rappellent que les collectivités connaissent de moins en moins de périodes excédentaires. Pour le Bagnolais Jérôme Talon, pourtant politiquement membre de Renaissance, ce serait plutôt “à l’État de prendre ses responsabilités et de mettre la pression sur les assureurs”. Un sujet de discorde de plus entre l’exécutif et l’AMF, qui avait choisi de placer son congrès sur le thème “Communes attaquées, République menacées”. Sans avoir l’assurance… d’être entendue.
“Une aggravation évidente et systémique de la sinistralité”
Sujet délicat. Les assureurs que nous avons contactés en région se sont en tout cas montrés peu prolixes, renvoyant pour certains aux argumentaires de leurs instructions nationales. Ainsi, sur RTL, l’un des leaders du secteur, Groupama, a confirmé “que la half des aléas climatiques” dans ses remboursements a été multipliée par trois ces dernières années. À la Smacl, autre poids lourd du marché des collectivités locales, on ne peut que reconnaître aussi une explosion des prix, tout en minimisant le nombre de résiliations (à 1 % du portefeuille). Le directeur général Patrick Blanchard l’explique “par une aggravation évidente de la sinistralité”, avec des risques de récurrence aujourd’hui “systémiques”, lorsqu’ils étaient auparavant ponctuels. Conséquence, a détaillé Patrick Blanchard : “Nous créons des situations de contrat qui se durcissent, donc nous mettons de niveaux de franchise plus élevés, parce que nous ne pouvons pas prendre chaque année 100 M€ de coût, liés à des sinistres. C’est juste not possible. On ne survit pas à ça, budgétairement”.
L’exemple de Montpellier, touché par les émeutes cet été et vulnerable d’être la proie d’intempéries, pourrait parfaitement illustrer ces propos. “La prime pour la Métropole pourrait passer de 1 372 879 € en 2023 à environ 1 800 000 € pour les mêmes garanties en 2024”, nous dévoile-t-on dans l’entourage du maire et président. Soit, notamment, une hausse de 25 % du contrat dommages aux biens et de 50 % pour la responsabilité civile. “Si nous voulons être assurés en maîtrisant les coûts, nous n’avons pas d’autre choix que de baisser les garanties ou de développer, quand nous le pouvons, l’auto-assurance notamment en augmentant le montant des franchises”. Un vrai casse-tête.