C’est une véritable alerte qu’a décidé de lancer, jeudi 21 mars, la FSU-Snuipp, le premier syndicat de l’enseignement primaire. L’école est « à un point de rupture, au bord de l’effondrement », décrit avec gravité Guislaine David, la porte-parole du syndicat. Exagération ? Non : le constat est établi sur la base d’une enquête menée auprès des personnels depuis décembre.
Dénommé justement « J’alerte », le dispositif avait pour but de permettre aux personnels des écoles de s’exprimer. Plus de 4 200 ont répondu, et les résultats ne font que confirmer que l’inquiétude, le découragement et la colère dominent dans la profession – comme le confirment les mobilisations en cours, en Seine-Saint-Denis mais aussi dans de nombreux établissements partout en France.
Ce n’est qu’une demi-surprise : pour les professeurs des écoles, le premier sujet de tension et d’insatisfaction, c’est « l’inclusion sans moyens », dénoncée par près des trois quarts (71 %) des répondants. « Cela rend la gestion des classes de plus en plus difficiles, reprend Guislaine David : la suppression des enseignants spécialisés, les fermetures d’établissements médico-sociaux » et bien entendu le manque criant d’AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) « font que de nombreux collègues n’arrivent plus à faire classe et ont le sentiment d’un « travail empêché » ».
« Si on continue de cette manière, des collègues vont finir par refuser l’inclusion »
Les répondants ont aussi souligné l’incapacité de l’administration à répondre aux alertes avec, souligne la porte-parole, « des inspecteurs au mieux compréhensifs » mais qui souvent considèrent que la gestion de tels problèmes relève de chaque enseignant : « On constate beaucoup de culpabilisation envers les personnels qui rencontrent des difficultés en classe, et qui se voient sommés de s’adapter à un environnement qui dysfonctionne. »
Facteur aggravant, avec le « pacte » et l’individualisation croissante des rémunérations, les collectifs de travail – qui font la spécificité et la force du premier degré – se voient considérablement fragilisés, et chaque enseignant renvoyé à son isolement face à ses interrogations et difficultés. Guislaine David prévient : « Si on continue de cette manière, des collègues vont finir par refuser l’inclusion, ce qu’on doit éviter à tout prix ! Il faut qu’une réelle inclusion puisse être mise en place et pour cela, il faut s’en donner les moyens. »
La question des rémunérations et le temps de travail qui déborde arrivent au second rang des préoccupations des répondants (un sur deux). Le « pacte », précisément, n’a pas répondu à ces attentes et pas résolu la crise d’attractivité « profonde et structurelle » que connaît le métier.
« La France doit repenser son modèle d’architecture scolaire »
FSU-Snuipp
Le « travail invisible », qui porte le temps de travail hebdomadaire à 42 heures en moyenne (pour un temps de service obligatoire devant les élèves de 24 heures par semaine), n’est pas reconnu – alors que les enseignants disent manquer de temps pour se concerter, entre eux mais aussi avec les professionnels qui, en dehors de l’école, prennent en charge les élèves dits « à besoins particuliers ». « Ce temps est nécessaire, martèle Guislaine David, mais nos collègues ne l’ont pas. »
Plus de 2 200 fermetures de classes à la rentrée
Autre point noir : 46 % des personnels qui ont témoigné sur la plateforme « J’alerte » pointent la surcharge constante des classes. Non seulement la baisse démographique n’est pas utilisée pour alléger les effectifs par classe, parmi les plus élevés d’Europe, mais pire : la FSU-Snuipp a compté que les 650 suppressions de postes annoncées pour la rentrée 2024 vont se traduire par plus de 2 200 fermetures de classes.
« Ce sera la troisième année consécutive » dans ce cas, dénonce Guislaine David, qui souligne que la protestation se manifeste jusque dans les rangs des élus locaux, de toutes couleurs politiques. Dans ce domaine, le non-remplacement des absences a des conséquences lourdes, les élèves étant dans ce cas répartis dans les autres classes : « Dans une petite école, par exemple à trois classes, c’est ingérable » juge la porte-parole.
Enfin, si le « choc des savoirs » frappe avant tout le collège, l’école élémentaire n’est pas épargnée : « On demande aux collègues de CM2 de préparer la constitution des groupes de niveau, autrement dit de commencer le tri social » que porte cette réforme, s’inquiète la syndicaliste. Mais pas seulement : le syndicat se montre critique vis-à-vis du redoublement, dont « toutes les études montrent qu’il est défavorable aux élèves ».
Et il voit dans la labellisation des manuels une « atteinte à la liberté pédagogique » des enseignants, qui va de pair avec la généralisation des évaluations nationales et la révision des programmes, le tout aboutissant à une mise au pas pédagogique des professeurs et un appauvrissement des enseignements, avec l’accent toujours plus mis sur les « fondamentaux » (français et mathématiques) – alors que les enquêtes internationales montrent que l’école française est déjà celle qui leur consacre la plus grande part du temps scolaire.
Une école arrivée au point de rupture
Les autres enseignements de l’enquête portent sur la formation, jugée insuffisante et « subie plutôt que choisie », et, dans une moindre mesure, l’état du bâti scolaire, indispensable au bien-être des élèves mais souvent devenu inadapté : « La France doit repenser son modèle d’architecture scolaire », en particulier pour faire face aux défis du changement climatique, écrit la FSU-Snuipp.
Ce que montre au final cette enquête, résume Guislaine David, c’est que jusqu’à présent « les collègues acceptaient de pallier les maques du système pour que l’école puisse continuer à fonctionner. Mais là, ils n’en peuvent plus ». L’alerte est donc grave. Elle s’adresse autant au gouvernement, qui s’est refusé à entendre toutes celles qui l’ont précédée, qu’à tous les Français conscients que l’avenir du pays se construit au sein de son école publique.