« La gratuité de tout, pour tous, tout le temps : c’est intenable. » Avec cette nouvelle sortie, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, annonce un nouveau coup de boutoir contre notre modèle social. Derrière la dénonciation de la « gratuité », c’est la socialisation de certaines richesses qui est visée. Selon lui, « à modèle social constant, on n’arrivera pas » à financer notre Sécurité sociale. Donc, il faut la concentrer sur « ceux qui en ont le plus besoin ». Une même logique que le gouvernement tente d’appliquer au logement, à l’école et à la santé. Dans la société rêvée de « BLM », le privé s’occupe de tout et le public du reste. En finir avec le paritarisme, comme le prévoit le gouvernement, et réduire les services publics au rôle de filet de sécurité pour les plus pauvres : Bruno Le Maire a choisi le moment où nous fêtons les 80 ans de la publication du programme du CNR pour tenter une bonne fois pour toutes de le ranger au musée.
Une fois de plus, la première mesure annoncée concerne les chômeurs. « On n’y arrivera pas » à ce plein-emploi affiché comme un objectif par le président de la République depuis 2017. Ce sont désormais les seniors qui sont dans le viseur. Alors que tout le monde sait que les entreprises se débarrassent massivement des salariés après 55 ans, et refusent d’embaucher à cet âge, le gouvernement envisage très sérieusement de durcir leurs conditions d’indemnisation. Pourtant, comme le note l’économiste Michaël Zemmour, « nous n’avons pas d’études qui prouvent l’efficacité de telles politiques pour le retour à l’emploi ». Le sujet est donc peut-être ailleurs. « Le chômage représente de l’ordre de 5 % des dépenses sociales, ce n’est pas un enjeu majeur pour l’équilibre des finances publiques. Mais comme pour les retraites, les réformes de l’assurance-chômage sont vues comme un instrument pratique pour diminuer les dépenses publiques dans leur ensemble et la taille de l’État social, comme contrepartie des baisses de recettes décidées par ailleurs. »
Voici donc le cœur du problème : ces recettes dont le gouvernement ne veut pas débattre. L’allégement de la fiscalité du capital est un péché originel de la Macronie. Or, les entreprises du CAC 40 viennent encore d’annoncer 153 milliards de profits et 67,8 milliards de dividendes versés en 2023. Un nouveau record et de quoi aller chercher des recettes pour financer les besoins sociaux. Mais un autre chiffre est passé plus inaperçu : ces mêmes entreprises ont dépensé 30 milliards en rachats de leurs propres actions. Une pratique qui se développe et qui est une véritable bombe à fragmentation. Il s’agit de brûler 30 milliards d’euros qui pourraient servir à la collectivité pour faire monter le prix des actions et donc les dividendes de quelques actionnaires – selon France Stratégie 3 900 foyers (0,01 % des foyers) concentrent 71 % des plus-values de droit commun. Le tout est décidé par des dirigeants dont les rémunérations sont elles-mêmes indexées sur le cours de Bourse.
Pour dégager de telles sommes visant à améliorer la rentabilité du capital, les entreprises doivent maintenir la pression sur les salaires et augmenter leurs prix. Salariés et consommateurs en sont donc les premières victimes, mais aussi les citoyens en tant qu’assuré sociaux, subissant les pertes de cotisations pour financer la Sécurité sociale ou l’assurance-chômage. Cette nouvelle étape de financiarisation gangrène l’économie par les deux bouts. Un système tellement vertueux que Bruno Le Maire voudrait l’étendre à tous les domaines de la vie. Si on le laisse faire, « on n’y arrivera pas ».