Un coup de semonce et beaucoup d’interrogations : les spécialistes se perdent en conjectures pour tenter de mesurer les effets sur l’économie européenne des nouveaux droits de douane brandis par Donald Trump. Une entreprise risquée puisqu’on ne sait rien, pour l’heure, du calendrier ni des secteurs ciblés par le président américain.
Une chose est sûre, les enjeux sont énormes. « C’est la plus importante relation commerciale au monde, pesant 1 600 milliards d’euros en 2023 pour le total des biens et services », rappelle Sébastien Jean, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii).
Pas de déficit commercial
Au passage, l’économiste souligne que la rhétorique américaine ne résiste pas aux chiffres. Contrairement à ce que prétend Donald Trump, son pays n’accuse pas un déficit commercial vis-à-vis de l’Union européenne (UE) de « 350 milliards de dollars ». Certes, les États-Unis affichent un déficit sur les biens de 157 milliards d’euros pour 2023, mais ils réalisent 109 milliards d’euros d’excédents sur les services, si bien qu’à l’arrivée, l’ensemble est pratiquement à l’équilibre.
Pour Sébastien Jean, les pays les plus exposés à la menace américaine seraient l’Allemagne (à travers son industrie automobile), l’Irlande (produits pharmaceutiques) et l’Italie (voitures). « En France, le luxe, l’agroalimentaire et possiblement les médicaments seraient touchés, nous explique l’économiste. L’aéronautique est le premier poste d’exportation bilatérale, mais Airbus est loin d’avoir des problèmes de débouchés. »
« Repenser notre modèle de développement »
Une éventuelle guerre commerciale aurait probablement des effets néfastes pour une industrie européenne mal en point, plombée par la hausse des prix de l’énergie et la concurrence de plus en plus virulente de la Chine. Ces effets pourraient par ailleurs « être majorés par un report vers le marché européen consécutif aux droits de douane que Trump imposerait aussi à ses autres partenaires commerciaux, en particulier la Chine », souligne Sébastien Jean.
Au fond, l’UE se retrouve fort dépourvue face à un pays qu’elle considérait comme un partenaire incontournable. D’une certaine façon, le « modèle » de développement européen reposait sur deux piliers, le libre-échange et l’atlantisme, qui vacillent tous deux.
« L’UE est engluée dans une idéologie libre-échangiste qui ne correspond plus aux réalités actuelles, relève l’économiste Léo Charles, spécialiste du commerce international. On a connu depuis les années 1980 une phase de mondialisation néolibérale qui est en train de s’achever. Désormais, on assiste plutôt à un retrait ou une limitation de l’insertion internationale des économies. »
Toute la question est de savoir si l’UE est capable de s’adapter à cette nouvelle donne. « La plupart des pays de la zone ont adopté des stratégies de développement fondées sur la conquête de parts de marchés étrangers, résume Leo Charles. Si le marché américain se referme, cela nous oblige à repenser notre modèle de développement vers des logiques fondées sur la solidarité, la relocalisation, etc. Les termes de “planification“ et de “coordination” sont des gros mots en Europe… Mais il nous faudra bien faire front. »
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