L’universitaire montpelliérain William Genieys, directeur de recherche au CNRS en poste à SciencesPo Paris, est un politologue et sociologue spécialiste de la société américaine.
La tentative d’assassinat de Donald Trump marque-t-elle forcément un tournant décisif dans la perspective de la présidentielle ?
Il faudra prendre les sondages nationaux avec des pincettes. Mais cette image de Trump blessé à l’oreille se relevant le poing dressé a une charge symbolique évidemment très forte.
C’est un populiste, c’est une chose entendue, mais il a ce côté messianique, et une capacité d’influence exceptionnelle. Et le fait qu’il se soit comporté ainsi, après une tentative d’assassinat, va encore renforcer sa dimension charismatique, notamment pour tout l’électorat religieux, évangéliste, qui est derrière lui.
Et, en même temps, ça va effacer auprès de ces gens-là tout ce qui relevait de la face sombre du personnage : son histoire avec Stormy Daniels, le fait qu’il soit reconnu coupable de 34 chefs d’accusation. Là, il va jouer la carte de celui qui est touché par la grâce divine. Et il va pouvoir continuer les prophéties du type “Make America great again”. Et puis il y a le côté miracle, il a survécu ! Dans le camp républicain, désormais, même ses derniers détracteurs, il en avait, vont voter pour lui dans l’allégresse. On va voir ça pendant la convention.
En miroir, ça met encore plus en lumière les faiblesses du candidat démocrate Joe Biden…
Il est évident que le contraste est énorme. On l’avait vu pendant le débat. On n’a pas les éléments, je ne suis pas médecin, mais on peut se demander si son état de santé, son état cognitif n’est pas un petit peu altéré…
Et puis il y a l’image renvoyée, la façon dont il se déplace en traînant les pieds par exemple. Et ses problèmes d’élocution… Et Trump qui se relève trente secondes après avoir été victime d’une tentative d’assassinat, en haranguant la foule, avec le sang qui coule sur le visage… Les images parlent d’elles-mêmes, avec un visage de cire d’un côté, et un visage plein de vie de l’autre.
Ces événements pourraient-ils accélérer un changement de candidat démocrate ?
La convention démocrate est plus tardive, à partir du 19 août à Chicago. Il y a encore un peu de temps… Et puis il restera une partie de l’Amérique qui, de toute façon, ne voudra pas de Trump une deuxième fois.
Mais pour la confirmation, ou le désistement, de Biden, il peut y avoir aussi des dimensions peu perceptibles, mais qui jouent vraiment. S’il fallait par exemple choisir un autre candidat à la convention, il y a Kamala Harris, mais elle n’est pas très populaire, Gavin Newsom, le gouverneur de Californie, Gretchen Whitmer, gouverneur du Michigan, Josh Shapiro, Gouverneur de Pennsylvanie.
Mais il peut y avoir un problème pour ces personnalités-là, car les fonds levés par Biden le sont intuitu personæ (en son nom propre, NDLR), et il ne pourrait les rétrocéder qu’à Kamala Harris. C’est-à-dire que les autres devraient faire appel à d’autres fonds. Ce sont des éléments qui jouent en faveur du maintien de Biden. Même si ça peut sembler voué à l’échec.
La violence dans un contexte politique n’existe pas uniquement aux États-Unis, on vient de le voir en Équateur ou en Slovaquie, mais, de Lincoln à Trump, elle marque cependant l’histoire de ce pays…
Bolsonaro, aussi, au Brésil, a été victime d’une tentative d’assassinat lors de la campagne où il a été élu. Mais la pratique américaine vient de l’article 2 de la Constitution qui dit que les gens peuvent posséder des armes. Mais ça va être intéressant d’écouter ce que va dire Trump à ce sujet, Trump qui a quand même défendu bec et ongles le lobby des armes, et il en a été quelque part la victime.
Parce que le fondement intellectuel et culturel de l’article 2, c’est d’abord d’avoir des armes pour se défendre au quotidien, et ensuite de pouvoir se débarrasser d’un tyran s’il arrive au pouvoir, sans avoir besoin de l’armée.
La société civile et les citoyens américains doivent pouvoir se débarrasser de tout despote. Là, on touche peut-être les limites du système. Ça va vraiment être intéressant de voir quelle position il va prendre.