Une fin de règne aux allures de psychodrame. Après une vingtaine d’années à la tête des casinos Barrière, c’est un parricide symbolique qui a mis l’ancien PDG, Dominique Desseigne, hors jeu.
Comme le raconte le Monde, en 2022, Alexandre Barrière, son fils, contestant à son père le titre d’usufruitier des actions du groupe et l’accusant d’avoir profité de l’état de faiblesse de sa mère pour lui faire signer des documents en sa faveur, l’assigne en justice. Il lui réclame également 75 millions d’euros de dividendes qu’il estime indûment perçus. L’affaire s’est finalement conclue à l’amiable. Et par la chute du patriarche.
Le fils, qui a entre-temps raccourci son patronyme pour ne garder que celui de sa mère, a été nommé en avril 2023 président de la Société de participation deauvillaise, la holding familiale à laquelle est rattaché le Groupe Lucien Barrière, dont il devient le président du conseil d’administration. Sa sœur, Joy Desseigne-Barrière, a, elle, été désignée présidente du conseil d’administration de la Société fermière du casino municipal de Cannes et de la Société immobilière et d’exploitation de l’hôtel Majestic. La quatrième génération a fini par reprendre le pouvoir sur le fleuron né en 1912.
Une ascension ponctuée de drames
Bien avant ce putsch, la vie publique de Dominique Desseigne avait pourtant démarré sous les meilleurs auspices. En 1980, le play-boy notaire rencontre Diane Barrière, la fille adoptive de Lucien Barrière, propriétaire de l’empire. Le couple, crinières aux vents sur les clichés des magazines, semblait surfer sur le succès. Jusqu’à l’accident d’avion qui laissa Diane tétraplégique, en 1995.
Ce drame contraint Dominique Desseigne, surnommé le « prince consort », à plonger dans le grand bain des affaires, codirigeant le groupe jusqu’à succéder à sa femme, décédée en 2001. Un an avant sa mort, un changement de régime matrimonial (de la séparation à la communauté de biens) intervient, comme le raconte le Monde, pour donner l’usufruit des actions du groupe au dernier vivant des conjoints, les enfants restant, eux, nus-propriétaires des sociétés. Mais l’époux touchera de généreux dividendes, une des causes de la colère de sa progéniture.
Depuis son ascension, Dominique Desseigne pouvait pourtant se vanter d’avoir multiplié par six le chiffre d’affaires du mastodonte des jeux d’argent, qui emploie environ 7 000 personnes. Barrière est désormais fort de 32 casinos, 19 hôtels de luxe et 150 restaurants, dont le fameux Fouquet’s, où Nicolas Sarkozy avait fêté sa victoire en 2007, mais aussi des bars, des golfs…
Alexandre Barrière, arrivé dans le groupe en 2014, avait été nommé directeur général stratégie et développement en 2021. Une montée en puissance sans doute trop lente à son goût. En 2022, après la pandémie qui avait fortement impacté les activités, avec 170 licenciements à la clé, son père, âgé de 78 ans, déclarait aux Échos ne pas être encore prêt à lâcher la barre. « Vu l’impact durable de la crise, la sagesse veut que je continue encore, affirmait le PDG (…) Je possède (…) de la prudence et une certaine rondeur. Alexandre, lui, c’est l’aiguillon de la jeunesse. »
Un président d’honneur rémunéré deux millions par an
De quoi piquer au vif un fils au style moins clinquant. La tension est donc montée crescendo au fil des mois, jusqu’au coup de Trafalgar final. Alexandre Barrière, 37 ans, désormais seul actionnaire du groupe avec sa sœur à la suite du rachat des 40 % de parts détenues par Marc Ladreit de Lacharrière (pour 350 millions d’euros en 2023), veut désormais développer les activités digitales et les paris en ligne. Le cap est également mis sur l’international, notamment les pays du Golfe, et une plus grande proximité avec les employés est affichée.
Pour les syndicats, entre le père et le fils, c’est pourtant bonnet blanc et blanc bonnet. « Les enfants se sont fortement endettés pour racheter les parts. Il n’y a plus beaucoup de marges pour investir, alors que les hôtels ont besoin d’être entretenus. Ce n’est pas le pire groupe au niveau social, mais il y a un fort turn-over dans les casinos », pointe Michaël Da Costa, délégué syndical groupe CGT et croupier de l’établissement d’Enghien-les-Bains, tout en s’inquiétant pour l’avenir de l’emploi avec le projet de miser sur les jeux en ligne.
Dominique Desseigne, lui, a été contraint de prendre de la distance. Désormais président d’honneur du groupe et touchant des « dividendes limités » (sic) à 2 millions d’euros par an, l’homme au brushing impeccable mais à la santé fragile peut se consacrer au tennis, une autre de ses passions.
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