Un coup de semonce. Ce jeudi, le groupe d’Ehpad Medicharme (43 établissements, 1 200 salariés et 2 000 lits), en liquidation judiciaire, devait savoir si un ou plusieurs repreneurs s’étaient positionnés. À l’heure où nous écrivons ces lignes, l’information n’avait pas encore été communiquée.
Dans le secteur, c’est la première fois qu’une société de cette taille explose en plein vol. Depuis la crise du Covid et les 30 000 morts dans les établissements français, le scandale provoqué par le livre les Fossoyeurs (Fayard) sur les malversations et la maltraitance chez Orpea a créé une crise de confiance qui fait partout baisser le taux d’occupation des lits.
Si, selon Jean-Christophe Amarantinis, président du Synerpa (Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées), « l’activité est en train de repartir depuis la rentrée 2023 sans revenir à 100 % de taux d’occupation », il juge la situation toujours « préoccupante dans les secteurs lucratif, mais aussi associatif et public. Ça fait des mois que nous alertons nos interlocuteurs ministériels sur ces grandes difficultés ».
Un modèle à bout de souffle
Le modèle économique des 7 500 établissements accueillant 600 000 résidents semble à bout de souffle. Celui du privé, axé sur une rentabilité exacerbée, est, lui, en train de plonger. Tandis qu’Orpea a été sauvé in extremis de la faillite par l’intervention de l’État, via la Caisse des dépôts, l’autre géant, le groupe Korian, devenu entre-temps Clariane, a annoncé en novembre 2023 un plan de refinancement de 1,5 milliard d’euros pour échapper au défaut de paiement.
À cette crise s’ajoutent l’inflation (sur le prix de l’énergie, notamment), la hausse des taux d’intérêt (limitant le recours aux emprunts bancaires), ainsi qu’une pénurie de personnel, égrène Jean-Christophe Amarantinis. « Cela fait trois ans que les dotations soins et dépendances régies par l’État n’évoluent pas conformément à l’évolution des charges, pointe-t-il. Il s’opère donc un report vers les tarifs des hébergements. Mais cela pénalise nos investissements. Il en est de même pour les évolutions salariales qu’on souhaiterait mettre en œuvre pour être plus attractifs. » De fait, les établissements à caractère commercial connaissent une hémorragie de personnels inédite, avec 40 % de démissions en plus depuis 2019, selon la Dares.
Pourtant, avec 40 % des Ehpad du pays sous statut commercial, difficile de croire à un effondrement total de ces structures. « Ça serait une catastrophe, avertit Guillaume Gobet, ex-salarié d’Orpea désormais représentant de la CGT santé, l’État serait obligé d’intervenir. Mais, en même temps, vu le contexte, il serait logique que ce système spéculatif s’écroule. Cette stratégie d’achats compulsifs de nouveaux établissements ne rapporte visiblement plus. » Les taux de profits astronomiques générés par ces sociétés, souvent adossées à des fonds de pension, sont allés de pair avec une dégradation des conditions d’accueil, comme cela a notamment été le cas chez Medicharme.
Depuis l’annonce de la liquidation judiciaire du groupe, fin février, avec poursuite de l’activité jusqu’au 15 avril, les syndicalistes ont remué ciel et terre pour que les collectivités locales reprennent certains établissements installés sur leur territoire. « Aux Jardins d’Aiffres (Deux-Sèvres), on a rencontré la mairie, mais ils nous disent que c’est trop compliqué », regrette Sandrine Fournier, de l’union départementale de la santé CGT.
34 milliards nécessaires pour accompagner la dépendance
Faute d’acheteur, cet Ehpad qui compte 32 agents et 39 lits devrait fermer ses portes. « On sait que le groupe concurrent DomusVi essaie déjà de récupérer nos personnes âgées. Vu la situation, je ne comprends pas pourquoi l’État et les départements continuent à financer ce système », soupire-t-elle. Pour Guillaume Gobet, l’alliance avec les collectivités est « la solution la plus viable : on ne peut pas continuer à spéculer sur la santé et la déshumanisation des résidents ».
En matière de moralisation des pratiques du secteur privé, après différents cas de maltraitance et problèmes de gestion, Jean-Christophe Amarantinis estime que des progrès ont eu lieu : « Nous avons été les premiers à demander des contrôles à l’État dans nos établissements sur l’aspect financier, réglementaire… 70 % de nos adhérents ont été contrôlés. Ce qui contribue à la reprise de confiance des familles. »
Une vision quelque peu nuancée par Guillaume Gobet : « En réalité, les agences régionales de santé (ARS) sont dans l’incapacité de contrôler les établissements et de voir où va l’argent. Quant aux familles, faute d’alternatives, elles n’ont d’autre choix que de mettre ou remettre leurs proches en Ehpad. »
De l’avis de tous, la loi « bien vieillir », adoptée par le Parlement le 27 mars dernier, ne révolutionnera pas ce modèle en crise. « On a salué la création d’un service départemental de l’autonomie, la mise en place d’une cellule départementale de recueil et de suivi des signalements des maltraitances, explique Jean-Christophe Amarantinis, mais peu de moyens ont été prévus. »
Or, les besoins concernant la prise en charge de la dépendance ne vont cesser de croître, avec 20 % de personnes âgées de plus de 75 ans d’ici à 2030. « Un investissement de 34 milliards d’euros pour accompagner cette nouvelle dépendance sera nécessaire, poursuit le président du Synerpa. L’État ne pourra pas investir seul. Il est condamné à travailler main dans la main avec le secteur privé. »
Comme le résume le cégétiste Guillaume Gobet, « sans changement de politique et régulation du système, toujours assis sur les fonds de pensions, les groupes savent qu’il y aura du business pour les soixante-dix ans à venir ».